[ENTRETIEN] “Transition numérique et innovation collaborative” une formation continue du CNAM

Vous dirigez le master “Transition numérique et innovation collaborative” au Cnam. Ce master est en formation continue et s’adresse à des professionnels. Quelle est sa spécificité dans l’offre de formation actuelle ?
Le Master « Transition numérique et innovation collaborative » est un diplôme en Sciences de l’Information et de la Communication du Cnam qui forme aux métiers de l’accompagnement de la transition numérique dans les organisations et à la recherche scientifique dans ce domaine, en mettant l’accent sur les services d’information et de communication. Sa principale originalité est de lier de manière intrinsèque la transition numérique et l’innovation collaborative.
La formation aux démarches de conception collaborative est au cœur de notre vision de la transition numérique qui s’appuie sur le design de nouveaux services et de nouvelles démarches en interne comme en externe. Il nous semble que ces innovations ne peuvent pas être conçues et se déployer dans les organisations sans une implication active des bénéficiaires.
Ainsi, les méthodes classiques de « conduite du changement » sont en voie d’être dépassées car elles s’appuient souvent sur un vision ex-ante des objectifs à atteindre qui conduit les consultants à être essentiellement dans une démarche d’influence, voire de persuasion, même si pour ce faire, ils commencent par susciter la participation des collaborateurs dans des réunions et ateliers. Mais en contexte de transition et d’innovation intensive, ces démarches ne sont compatibles ni avec la complexité actuelle des enjeux ni avec la nécessité de la co-conception qui est une condition de l’engagement des collaborateurs.
L’approche de notre Master est celle d’une transition numérique 2.0, c’est-à-dire visant à redonner du pouvoir aux métiers et aux utilisateurs dans la conception des applications et des dispositifs d’information et de communication. On pourrait distinguer cette approche d’une vision 3.0, essentiellement basée sur le recours à l’Intelligence Artificielle dans une optique substitutive, auquel nous croyons assez peu, ou d’une approche 4.0 faisant la part belle aux objets connectés et aux dialogues automatisés entre ces objets grâce à leur traçabilité.
Que les technologies sous-jacentes soient basées sur de l’IA ou sur les objets connectés, nous croyons fermement que les approches « capacitantes » du numérique, dans lesquelles applications sont au service des collaborateurs, sont les plus prometteuses pour garantir une qualité de service avancée dans les relations au sein de l’organisation comme avec les clients.
C’est la philosophie de notre formation qui vise à penser la transition numérique en impliquant les experts métiers et les collaborateurs au sein des organisations pour accroître leur pouvoir d’agir et leur intelligence des situations plutôt qu’en cherchant à les remplacer ou à simplifier à l’extrême leurs activités en standardisant leurs prestations. Cette approche s’oppose aussi à une vision de la relation client qui tire la qualité vers le bas en détruisant la singularité des offres au profit d’une accessibilité de tous les instants, basée sur une vision du consommateur constitué par des réflexes conditionnés qu’il faut renforcer dans une logique de neuromarketing au lieu de chercher à développer avec lui une relation de confiance dans la durée fondée sur des approches partenariales.
En quoi des professionnels de la communication interne peuvent-ils trouver dans cette formation une ouverture pour leur parcours en entreprise ?
Nous pensons que les professionnels de la communication sont aux premières loges pour accompagner la transition numérique dans l’optique de l’innovation collaborative qui est la nôtre. Cela implique bien sûr de s’appuyer sur une vision du métier de communicant particulière qui ne sépare pas « langage, travail et communication » pour reprendre le titre de l’un de vos billets, Jean-Marie Charpentier, une vision qui est aussi largement partagée au sein de l’AFCI.
Les communicants internes ont deux atouts importants pour accompagner la transition numérique selon une approche « collaborative ». Leur premier atout est qu’ils connaissent les outils numériques dans une logique d’éditorialisation, de publication et parfois de « community management » interne. Ils comprennent l’importance qu’il faut accorder à l’ergonomie des interfaces homme machine et des messages qu’elles véhiculent et appréhendent assez spontanément la notion d’expérience utilisateur. Ce sont souvent des « makers » capables de réunir rapidement différentes compétences pour concevoir des dispositifs assez largement numériques au bénéfice de leurs publics avec un grand souci du détail.
Le deuxième est qu’ils sont de plus en plus sensibles au fait que leur rôle ne se limite pas à parler « au nom » de l’organisation mais consiste à parler pour « fabriquer de l’organisation ». En effet, ils appréhendent de plus en plus souvent leurs missions comme visant à faciliter et à créer des relations pour accroitre la pertinence et la productivité du travail dans un contexte où la coopération et la transversalité sont de plus en plus nécessaires. Ce qui leur manque encore parfois, c’est d’être en mesure d’assumer une posture de chef de projet d’innovation en charge d’enjeux de conception de nouveaux services internes et externes dans un dialogue direct avec des équipes techniques, des responsables de service métiers et des utilisateurs.
Quels contenus de formation peuvent-ils attendre dans le cadre de ce master ?
Notre positionnement est un positionnement de généraliste de la transition numérique. Nous passons en revue les évolutions dans différents métiers, marketing, ressources humaines, ergonomie du poste de travail, gestion de projet informatique, etc. mais notre objectif est surtout que les auditeurs soient en mesure de piloter des projets transverses qui associent ces différents acteurs au bénéfice d’une problématique de mise en place d’une démarche de changement ou de design de service.
Les contenus de la formation sont de trois ordres en tenant compte du fait que l’origine des auditeurs est plurielle, certain venant des métiers du numérique, d’autres de ceux de la communication ou de la gestion. Nous avons à chaque fois un équilibre entre intervenants académiques et professionnels expérimentés, dans des entreprises « utilisatrices » ou chez des prestataires.
Il y a d’une part un socle de connaissances en sciences humaines et sociale et bien sûr en sciences de l’information et de la communication (SIC) qui globalement permet de remettre en contexte les enjeux de la transition numérique et d’avoir une approche critique par rapport à certains discours techno-enthousiastes ou techno-catastrophiques. Ces cours de sciences humaines empruntent à plusieurs champs disciplinaires complémentaires à ceux des SIC et s’appuient sur l’intervention de professeurs du Conservatoire : sociologie du travail, psychologie du travail et ergonomie, gestion de l’innovation, etc.
Par, exemple, nous interrogeons de manière plus « fondamentale » les théories de la coopération, parfois divergentes, qui alimentent les discours d’entreprises autour du collaboratif. Si nous reprenons ce terme à notre compte pour discuter avec des opérationnels, nous en explicitons les significations variées qui conduisent à des méthodes d’évaluation et d’intervention assez différentes.
Le deuxième bloc relève de connaissances plus appliquées dans le domaine du numérique et des sciences de l’information. Selon le niveau, M1 ou M2, un certain nombre de notions de base sur la publication web et sur les outils de travail coopératifs sont fournis. Mais nous travaillons également le marketing digital, l’UX design et l’organisation de l’information qui est un prérequis pour concevoir des services digitaux.
Le troisième bloc est réellement dédié à l’acquisition de savoir pratiques pour la conduite de projet et l’innovation collaborative. Selon le niveau, nous travaillons de manière approfondie les méthodes de conduite de projet agile, les méthodes de co-conception dont le « design thinking », les méthodes de prototypage, le design de service, etc. Pour renforcer ce bloc, nous avons noué un partenariat pédagogique avec le collectif « Codesign-it », qui sont des spécialistes de l’innovation collaborative et dont plusieurs membres interviennent dans la formation.
Comment se déroule précisément la formation ?
La formation se déroule en journée les jeudi et vendredi pendant 18 semaines pour le M1 et pour le M2. Il est possible de rejoindre directement le M2 via une VAP ou une VES. C’est lourd, mais cela reste compatible avec une activité professionnelle temporairement allégée. Pour les auditeurs qui ne sont pas en poste, il y a également une période de stage ou la possibilité de réaliser un contrat de professionnalisation. Pour les autres il y a la possibilité d’effectuer une « mission professionnelle » dans le cadre de son activité. Enfin, il est possible de réaliser un projet de recherche au sein du laboratoire Dicen-IdF.
Pour finir soulignons le fait que nous mettons en place une pédagogie particulièrement originale qui donne de l’autonomie aux auditeurs et qui encourage leur capacité à coopérer en relation avec les responsabilités auxquelles il se destinent.
Propos recueillis par Jean-Marie Charpentier
Détails :
Le site de la formation :http://communication-culture.cnam.fr/master-information-communication/
Recrutement ouvert jusqu’à début octobre 2019
Début des cours le 10 octobre