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Aux racines de la coconstruction…la participation des salarié.es

1 décembre 2019

Par

Vincent Brulois

Responsable du master Communication et RH, Université Paris 13 (Sorbonne Paris Cité)

Et

Jean-Marie Charpentier

Consultant (Études, communication et social), Administrateur de l’Afci

TRANSMISSION, PERSUASION, PARTICIPATION

Il s’agit d’un vieux débat. Un débat que l’on retrouve en entreprise sous des formes différentes au cours de trois grandes périodes. Il y a d’abord l’approche unidirectionnelle. Elle prévaut longtemps, en particulier sous l’effet du taylorisme. Le besoin d’organisation et de rationalisation apparu lors de la révolution industrielle se traduit par une division stricte du travail, une parcellisation des tâches et une décomposition des gestes. Cet univers est marqué par une séparation nette entre conception et exécution. Dans ce cadre, pas ou très peu de place pour la participation des salarié·es, ni d’ailleurs pour la communication. Le bureau des méthodes conçoit le travail, les contremaîtres transmettent les ordres pour faire faire et contrôlent les actions. En règle générale, c’est silence dans les rangs ! On retiendra tout de même que s’il y a participation et communication, c’est essentiellement une contre-participation et une contre- communication de la part de salarié·es s’organisant et s’exprimant collectivement face à ce modèle taylorien. Le syndicalisme vient en partie de là.

« La parole a été progressivement revendiquée et conquise, en lien avec le développement du mouvement ouvrier et syndical. Le combat consistait alors à déplacer la parole depuis l’extérieur de l’entreprise (la rue, le café et autres espaces publics) vers son intérieur », rappelle Nicole d’Almeida, professeure en sciences de l’information et de la communication.

Une deuxième approche voit le jour par la suite en réaction aux ratés et aux dégâts du taylorisme. On peut la qualifier d’approche persuasive. Il ne suffit plus de donner des ordres, il faut aussi gérer les opinions et avoir prise sur les sentiments des salarié·es. L’entreprise doit les persuader de leur importance dans le processus de production. Il faut s’intéresser aux individus, à leurs besoins et à leur motivation, sinon la productivité en pâtit. Sans changer les organisations du travail, on s’attache à une certaine participation et à des formes de communication à base essentiellement informative. Informer, échanger dans le but d’influencer et aussi de manipuler.

La parole et la participation des salarié·es sont sollicitées par un management qui comprend que l’intelligence manifestée dans les échanges professionnels peut apporter une valeur ajoutée à l’entreprise. L’École des relations humaines qui, après les États-Unis, diffusera ses approches après- guerre en Europe représente bien cette dimension persuasive. Mais la persistance d’organisations bureaucratiques et tayloriennes met souvent en porte-à-faux les tentatives de participation et d’information. Les niveaux élevés de conflictualité dans les entreprises en montrent toute la limite.

Une troisième approche, plus participative, intervient alors dans un contexte de mutation des systèmes productifs et d’évolutions sociétales. Le maître-mot des entreprises est « adaptation ». Une adaptation qui passe en partie par la capacité des salarié·es à faire face, à être des acteurs innovants et pas seulement des ressources vivantes mais non pensantes. En France, on peut dater l’émergence de cette approche participative à la fin des Trente Glorieuses, au moment de bascule

du modèle économique. La participation emprunte alors, et jusqu’à aujourd’hui, des chemins compliqués, entre expérimentations ponctuelles, transformations véritables et opérations cosmétiques.

 

Force est de constater que l’individualisation l’emporte sur la démocratisation

Vincent Brulois, Responsable du master Communication et RH, Université Paris 13 (Sorbonne Paris Cité)

LA FLAMBÉE PARTICIPATIVE DES ANNÉES 1980-1990

La participation prend notamment deux formes dans les années 1980. En premier lieu, les entreprises engagent de nombreuses démarches participatives, signifiant à l’époque une rupture avec le taylorisme (projets d’entreprise, groupes de progrès, cercles de qualité, modalités de suggestion type « boîte à idées », etc.). On demande aux salarié·es de participer et de communiquer. C’est à ce moment-là que s’organise la fonction communication en entreprise.
Un ensemble d’évolutions techniques, sociales, culturelles accréditent l’idée d’un management participatif comme nouveau paradigme. Mais, au-delà de l’intérêt de départ, ce management et cette participation s’essoufflent vite du fait du formalisme des démarches, du fait aussi d’un éloignement par rapport au travail réel.
En second lieu, la participation emprunte dans cette même décennie un autre chemin plus politique. Le rapport Auroux (du nom du ministre du Travail de l’époque) préconise en 1981 de favoriser la citoyenneté et la participation des salarié·es dans l’entreprise, établissant que « les travailleurs doivent devenir les acteurs du changement dans l’entreprise ». Le législateur entend rééquilibrer participation indirecte et participation directe des salarié·es. Les lois Auroux s’inscrivent à la fois dans la tradition d’une participation indirecte des salarié·es via les syndicats, en renforçant leur place dans le dialogue social, et dans la nouveauté d’un « droit d’expression directe des salarié·es sur leurs conditions de travail ». La participation directe est censée introduire une vraie rupture avec les périodes antérieures. Le bilan est pour le moins mitigé. Des groupes d’expression directe sont créés dans de nombreuses entreprises, mais ils échouent souvent à s’installer dans la durée, laissant place à des initiatives managériales permettant de mobiliser les salarié·es sur les seuls objectifs des directions d’entreprise. Alors secrétaire général de la CFDT, Edmond Maire prévient : « Méfiez-vous du mot participation, il est enrobé dans le miel de la facilité de vocabulaire » 

Le terme participation est polysémique.

Ce qui se joue dans les années 1980-1990 traduit pour le moins un conflit de logique. Pour les salarié·es, les nouvelles formes participatives peuvent représenter une respiration après des années d’étouffement, voire un certain accès à la parole, même contrôlé et encadré. Pour les directions d’entreprise, c’est la possibilité d’impliquer davantage chaque salarié aux impératifs de performance dans une économie qui s’internationalise. Quant aux syndicats, ils y voient moins un renforcement de leur rôle dans le dialogue que la mise à mal de leur fonction de représentation. Les demandes d’autonomie et de responsabilisation vont en tout cas hâter la mise en œuvre de nouvelles formes de management. Tout en répondant au souhait des salarié·es, un « néo-management » se structure autour d’une logique d’individualisation – objectifs, évaluation, rémunération, carrière – pour répondre à un contexte de changement sur fond d’atomisation du corps social. Force est de constater que l’individualisation l’emporte sur la démocratisation, limitant la participation à « un modèle de mobilisation par lequel le management s’efforce de créer un nouveau consensus » 4, affaiblissant les syndicats et fragilisant nombre de collectifs de travail ou de solidarités de métier.

COCONSTRUIRE, LIBÉRER…
DANS UN CADRE

Pour autant, l’idée de participation n’est pas morte. Elle se transforme et renaît par le terme de coconstruction. Cette évolution est liée aux profonds changements du travail dans un univers plus incertain. Ils nécessitent de faire appel aux salarié·es en amont de l’exécution, parfois jusque dans la conception ou l’innovation. Dans un monde plus incertain, l’entreprise s’éloigne d’un modèle organisationnel unique en capacité de répondre à tout aléa. La participation revient parce que, plus que jamais, travailler c’est communiquer. Qu’on le veuille ou non, le travail est collectif. L’individu échange, interagit, participe, s’engage afin de pouvoir faire son travail. Sa parole vient « compléter l’organisation » 5. On redécouvre que le travail nécessite des échanges avec autrui, qu’il est collectif car jamais prescrit dans sa totalité, que les salarié·es sont impliqué·es en prenant en permanence des décisions : discutant et se disputant, s’expliquant avec leurs collègues, leur manager, d’autres équipes, en une « coopération conflictuelle » 

Participer, cocontruire c’est « prendre part à des univers de sens en train de se faire » 7. Prendre part, mais aussi apporter sa part (au sens de contribuer) et recevoir sa part (au sens de bénéficier). Charge à l’entreprise d’autoriser la prise de parole et d’organiser l’échange.
L’air du temps est donc à un renouveau du participatif. Pour exemple, en 2013, un accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle est signé par les partenaires sociaux, insistant sur le fait d’encourager et de favoriser l’expression des salarié·es sur leur travail. Des formules fleurissent par ailleurs comme celle d’« entreprise libérée ». Ses promoteurs, notamment Isaac Getz8, en appellent à une organisation dans laquelle les salarié·es « jouissent d’une liberté totale
et ont la responsabilité d’entreprendre des actions qu’ils (…) considèrent être les meilleures ». Ces actions sont encadrées par la mission de l’entreprise, elle-même définie par un « leader libérateur » qui doit faire adhérer les salarié·es à sa « vision ». La formule est ambitieuse, mais le paradoxe latent : la liberté totale intervient dans le cadre prédéfini par le leader. Si dialogue il y a entre salarié·es, cela paraît moins vrai entre le leader et les salarié·es, la recherche d’adhésion ne constituant pas un dialogue mais un monologue. Et puis, dans cet univers libéré le management de proximité a tendance à disparaître, alors qu’il est un acteur-clé du dialogue sur le terrain.

C’est justement cette dimension d’un management intermédiaire initiateur de l’échange sur le travail que soutient Mathieu Detchessahar en parlant d’une « entreprise délibérée »9. L’approche est plus modeste et sans doute plus opérationnelle. Elle prône un « management par le dialogue » structuré autour de la discussion, la collégialité et la subsidiarité, soit de nouvelles modalités de communication, de prise de décision et d’autorité. Celui-ci s’effectue dans des « espaces de discussion », à objet unique (le travail et la possibilité laissée aux salarié·es de s’exprimer sur leur travail) et à objectif unique (la résolution de problèmes). Dans ce cadre, il s’agit de coconstruire une solution en laissant du pouvoir de penser, de débattre et d’agir aux individus qui sont les premiers concernés.

UNE QUESTION DE FINALITÉ

Quand on revient rapidement, comme nous l’avons fait ici, sur les démarches de participation et de coconstruction dans le temps, plusieurs interrogations perdurent. Faire participer, coconstruire d’accord,
mais dans quel cadre organisationnel et pour produire quoi ? À quoi sert vraiment de participer et de coconstruire ? La participation est une expérience toujours située. Mais, l’essentiel porte-t’il vraiment sur le fond – faire participer les salarié·es pour parler de leur travail, de son organisation, voire de la stratégie de l’entreprise en lien avec sa « raison d’être »  – ou reste-t-il cantonné à la forme – faire participer pour montrer qu’un dialogue a été organisé ? La participation se décline aussi en participant·es. Qu’en est-il des capacités
et des compétences des uns et des autres à participer ? Il ne s’agit pas simplement de vouloir et de pouvoir participer, voire de devoir participer, encore faut-il savoir participer. Dans quelle mesure les individus sont-ils égaux dans une démarche qui se veut pourtant être basée sur la coconstruction ?

Un « management par le dialogue » structuré autour de la discussion, la collégialité et la subsidiarité

Jean-Marie Charpentier, Consultant (Études, communication et social), Administrateur de l’Afci

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