Parole au travail & parole sur le travail
Comment la question de la parole au travail s’est-elle posée ces dernières années chez SNCF ?
On y est arrivé sous l’angle de l’amélioration de la qualité de vie au travail et des problématiques de prévention des risques psychosociaux. Ces sujets nous ont conduits à créer un observatoire paritaire de la qualité de vie au travail et aussi un “social club” créé pour permettre des échanges entre les managers intéressés par ces questions de prévention des risques psychosociaux au travail ainsi que des représentants d’organisations syndicales.
En invitant des personnalités, des experts, il est apparu assez nettement que la question de la parole au travail, la question de l’expression sur le travail direct entre les salariés, les agents et leurs managers, était pointée comme un élément de prévention des risques et même un élément induisant la bonne santé au travail. Ce qui nous a frappé, c’était de constater que la question de la santé au travail était liée à la parole. Les agents employaient des expressions comme guérir les “m-a-u-x” par des “m-o-t-s”. Nous avons aussi organisé des sessions au cours desquelles des chercheurs venaient expliquer leurs travaux; des personnalités comme Yves Clot ou comme Mathieu Detchessahar sont venus nous en parler.
On a pointé, notamment dans le cadre de la préparation d’un accord sur la qualité de vie au travail, la nécessité de favoriser l’expression directe sur le travail, le dialogue sur le travail, surtout dans une entreprise où la vérité est sur le terrain, la vérité est dans les métiers. Il est important que ceux qui vivent au quotidien la relation avec les clients, la relation du travail, soient à même d’exprimer, de purger leur ressenti. Ce qui permet à la fois pour eux d’en parler, et puis pour les managers d’écouter, de savoir prendre en compte ce qu’ils entendaient pour améliorer le travail ; avec le souci de ce qui était également pointé par les chercheurs, la question de la qualité du travail elle-même. D’ailleurs les termes de l’accord ont changé, pour revenir à la qualité du travail.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de pratiques sur le terrain ?
On s’aperçoit que rien ne se passe si on n’a pas cadré une démarche, si on n’a pas expliqué aux managers comment s’y prendre pour parler du travail avec leurs équipes. Pour dépasser les réticences des managers sur ce dialogue direct, on a structuré la démarche par un cahier des charges diffusé auprès des 250 établissements qui disposent d’une large autonomie décisionnelle.
Donc pour que le travail sur la parole soit réalisé de façon cohérente entre tous les établissements et les métiers on a appelé la démarche “Parlons de nous et de nos métiers”. On centrait les échanges uniquement sur la question du travail, sans évoquer des négociations en cours par exemple, avec l’organisation d’ateliers et surtout la mise en place d’un calendrier pour que cette démarche soit suivie dans le temps.
Le problème que l’on a rencontré, c’est que l’accord dont je parlais sur la qualité du travail, s’est trouvé frappé d’opposition, et on n’a pas eu la majorité suffisante pour le mettre en place. Une des raisons pour lesquels il y a eu opposition, c’est que les organisations syndicales ont considéré que cela les privaient de leur pouvoir de représentation. Il était risqué pour elles d’accepter ce dialogue direct entre les managers et le terrain. Elles ont aussi pointé un risque de surexposition des managers, pas forcément formés suffisamment pour prendre en charge les réponses à ce qu’ils pouvaient entendre sur le travail.
On parlait beaucoup de la parole sur le travail et ensuite est arrivé le concept de l’excellence opérationnelle. Un des principes de l’excellence opérationnelle, c’est la parole sur le travail, puisque les principes d’excellence opérationnelle prônent chaque matin une réunion de 5 min, c’est à dire le point que l’on fait entre le manager et les équipes pour préparer la journée. Cette réunion de 5 min est devenue la nouvelle formule de “parlons de nous et de nos métiers “, et cette réunion s’est mise à durée une demi-heure et a heureusement remplacé ce que nous avions créé au niveau de la DRH. Cette exigence est maintenue dans la plupart des établissements sous un autre label mais ce qui compte c’est que la parole puisse s’exprimer.
Quelle réflexion tirez-vous sur le plan managérial et sur le plan de la communication ?
Aujourd’hui, j’ai l’impression que SNCF n’est pas la seule entreprise à avoir compris que la question de la parole sur le travail est un moyen de prévenir les risques, d’améliorer la santé des travailleurs et donc leur performance au travail mais également un moyen d’améliorer leur engagement. Il y a donc deux volets différents d’actions managériales, une action sur la santé, et on revient à la nécessité de groupes d’expressions sur le travail au quotidien et notamment la qualité du travail, et là on est plutôt sur une vision thérapeutique du travail.
Puis il y a toute une dimension d’engagement et d’appartenance à l’entreprise où, là encore, l’expression directe, le dialogue permet aux salariés de mieux comprendre l’entreprise dans laquelle ils sont, pourquoi ils changent, pourquoi ils évoluent. Parce que dans beaucoup de cas vous recueillez des expressions du travail qui sont “on ne comprend plus l’entreprise”, “on ne s’y reconnaît plus “, “ce n’est plus l’entreprise dans laquelle on est entré”. Il y a ici le risque d’un désengagement des salariés au delà même du travail, on est sur le lien à l’entreprise. Ce qui est important c’est que les managers sachent, là encore, engager le débat, argumenter, exprimer la position de l’entreprise, la rendre compréhensible au niveau des salariés pour maintenir aussi ce lien d’appartenance.
On voit bien que les managers sont au cœur de la problématique de la performance de l’entreprise et que la parole au travail est un levier à la fois dans la relation individuelle et à la fois dans le lien à l’entreprise.
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