Acessibilité
Imprimer
Partager
0 commentaires

Transpirer… L’indispensable des idées qui marchent

4 juillet 2018

Par

Benedikt Benenati

Fondateur d’Only the braves,
Secrétaire général de l’Afci

 

Il est de bon ton, dans l’entreprise, de prôner le développement de la créativité et de l’afficher comme un élément nécessaire à l’innovation. L’intention est là et les initiatives ne manquent pas. La créativité témoigne de cette capacité à faire émerger de nouvelles idées, capacité désormais incontournable pour s’adapter aux changements d’un monde qui bouge. Faute de quoi, l’entreprise aurait du mal à assurer sa singularité face aux concurrents et donc peu de chances de survivre. Le défi est de créer les conditions pour que l’imagination en entreprise puisse se débrider et que, de là, sorte du neuf ou de l’original. L’hypothèse de base est que chacun – si les bonnes conditions sont réunies – peut se révéler créatif et capable de trouver de nouvelles voies. Il existe des dizaines de méthodes plus ou moins efficaces pour générer des idées, des solutions originales face à un problème spécifique. Les séminaires et les conventions d’entreprise regorgent d’ateliers de brain- storming, de design thinking, de sessions d’intelli- gence collective. Tous créatifs? Certes, mais encore…

Les idées sont si fragiles…

La vraie difficulté réside dans la mise en œuvre des idées. Comme toujours. Malgré les bonnes intentions, malgré l’énergie déployée, on préfère à la fin se conformer aux méthodes qui ont fait leurs preuves. Combien de fois, à la fin d’une effervescente session de brainstorming, n’avons-nous pas fait le constat que les participants quittaient la salle pour retourner à la « vraie vie », à leur « vrai boulot »…, en laissant sur place post-it et autres dessins fourmillant d’idées et de propositions ? Pourquoi toutes ces idées – souvent très bonnes – générées par des équipes disponibles et motivées non seulement ne sont pas mises en place ensuite, mais sont tout simplement laissées en plan ? Pourquoi toute cette énergie positive s’évapore-t-elle le temps d’un week-end, avec des salariés qui, dès le lundi, reviennent à leurs anciennes habitudes, aux process traditionnels ?

Notre approche cartésienne n’aime rien tant que la routine, les habitudes rassurantes. Les idées nouvelles créent toujours de l’insécurité, elles nous sortent de notre zone de confort, bousculent l’ordre établi en nous plongeant dans un monde que l’on ne connaît pas encore. Des peurs naissent, très probablement liées à l’échec que la mise en place de ces nouvelles idées pourrait générer. Le risque inhérent à toute idée créative finit par nous décourager. Et on trouve assez rapidement de bonnes raisons pour continuer sur la lancée des démarches éprouvées. On a du mal à l’admettre, mais la créativité nous trouble au fond parce qu’elle va puiser dans nos émotions.

99 % de transpiration !

« Pour créer, il faut du courage », admettait le peintre Matisse. Du courage et pas uniquement cette capacité à casser les codes avec panache ou cette faculté d’imaginer des solutions originales. Ce courage, souvent moins visible, est celui des héros discrets. Il a un nom : la persévérance. C’est un grand créatif – Thomas Edison
– qui affirmait que « le génie est fait d’un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration ». La créativité a besoin en réalité de beaucoup de rigueur. Apprendre à bien transpirer devient la compétence essentielle pour l’entreprise qui souhaite vraiment profiter de l’intelligence collective de ses collaborateurs. On ne devient pas une organisation créative en organisant, ici ou là, quelques ateliers de design thinking lors d’évènements d’entreprise. Ce n’est que la pointe de l’iceberg et tout ce qui se passe avant et surtout après la session créative détermine le succès durable de la démarche.

Tout ce qui se passe avant et surtout après la session créative détermine le succès durable de la démarche

Benedikt Benenati , Fondateur d’Only the braves, Secrétaire général de l’Afci

Une démarche stratégique, systémique et pragmatique

Une démarche créative n’aura d’impact que si la volonté de générer et de mettre en œuvre des idées nouvelles fait partie d’une stratégie assumée et vértablement incarnée par les dirigeants. L’intention stratégique liée à l’activité, au business, à la performance est indispensable et les dirigeants doivent porter collectivement cette démarche. En clair, ils choisissent ensemble les enjeux stratégiques à traiter en mode créatif. L’exercice n’est en rien périphérique ; il doit être utile et l’impact des nouvelles idées doit pouvoir se mesurer en termes d’efficacité et d’efficience. La clarté du brief est un facteur de succès et il faut que les dirigeants acceptent de jouer concrètement leur rôle de sponsor des idées générées par les salariés. C’est cette incarnation qui permet de crédibiliser la démarche.

Pendant l’atelier de créativité, il importe que tout le monde soit impliqué avec des rôles, des respon- sabilités spécifiques attribués à chacun. Un certain décalage par rapport aux codes habituels de l’entreprise et l’utilisation de symboles permettent de fluidifier les échanges et de favoriser l’émergence d’idées. Le psychologue Edward de Bono1, connu pour ses ouvrages sur la pensée latérale et sur la théorie des six chapeaux, attribuait beaucoup d’importance aux symboles qui permettent de mieux jouer certains rôles, au-delà des postures statutaires qui souvent inhibent la créativité.

Mais le moment de vérité a lieu juste après l’atelier créatif. Seule une démarche de suivi rigoureuse et systémique permet de mobiliser tous les acteurs et les ressources pour la mise en œuvre de ces idées. La persévérance des dirigeants et des collaborateurs est déterminante. Toutes les actions nécessaires doivent être mises en place, les budgets identifiés, les obstacles levés, les dispositifs de reconnaissance communiqués. Le premier bilan est dressé quelques mois après, lors d’un autre évènement : celui de la       « moisson ». Ce sera le moment de faire le point, de célébrer les succès, mais aussi d’apprendre des échecs éventuels dans la mise en œuvre des idées. Nous avons parfois tendance à l’oublier, mais la créa- tivité ne peut s’exercer que lorsque les salariés savent qu’ils ont le droit de tester des hypothèses, qu’ils ont le droit à l’erreur.

La créativité dans l’entreprise n’est possible qu’insérée dans un processus stratégique de réinven- tion continue qui mise sur l’adoption de façons de travailler plus efficaces et créatives. C’est le courage et la capacité des dirigeants à assurer la mise en œuvre des idées nouvelles et à accueillir les éventuels échecs. En somme, c’est le 99 % de transpiration qui fait la différence.

 

1 Edward de Bono, Lateral thinking, Pinguin life, 2016.

En pratique et en équipe…

Les membres du Codir RH de Crédit agricole Consumer Finance sont réunis pour discuter du prochain séminaire avec leurs équipes. Une centaine de collaborateurs.

L’enjeu de départ est de les réunir après deux ans pour partager la feuille de route, qui reposait sur trois axes. Un moment de bascule a lieu quand l’équipe de direction décide d’inscrire à l’agenda de cet évènement un atelier créatif.

On demande aux pilotes de huit projets stratégiques déjà lancés de présenter leurs initiatives lors de l’évènement dans le but de récolter des idées nouvelles. en amont de l’évènement, les huit pilotes préparent avec soin un brief de leur projet en détaillant les enjeux et en formulant des demandes spécifiques.

Le jour J, ils montent tous sur scène équipés d’un casque de chantier pour un pitch face à leurs collègues. L’objectif est simple : leur donner envie d’assumer le rôle de co-constructeur et de bien vouloir les rejoindre pour une session au cours de laquelle ils pourraient partager leurs idées sur la façon de réinventer et accélérer leur projet.

Un grand espace a été aménagé dans une autre salle, avec huit zones de co-construction où les participants pouvaient choisir trois collègues qu’ils souhaitent aider. Ce processus d’intelligence collective repose sur la qualité des briefs et sur l’implication des membres du Codir qui acceptent de jouer le rôle de facilitateur – munis eux aussi d’un casque de chantier afin de rendre visible leur rôle et leur nouvelle posture non hiérarchique. Chacun des 80 co-constructeurs a reçu un kit (avec un bloc de post-it personnalisés et des chapeaux inspirés de la technique de Bono) pour contribuer avec des idées et des offres de support.

Au final, plusieurs dizaines d’idées et de contributions ciblées sont produites. Cette énergie collective ne s’est pas essoufflée puisqu’avant la fin de l’évènement le Codir a annoncé la date du prochain rendez-vous dit « de la moisson », pour faire le point sur l’état d’avancement des huit projets. Par ailleurs, trois Learning expeditions sont lancées suite à ce premier évènement pour traiter d’autres enjeux stratégiques et mobiliser de nouveaux pilotes dans un autre exercice de créativité.

Cette démarche systémique et volontariste portée collectivement par le Codir a fait ses preuves. Certaines des idées produites ont été mises en œuvre et la fonction RH a réussi à s’inscrire comme un accélérateur de créativité au sein de l’entreprise, en impliquant certains de ses interlocuteurs à l’intérieur de l’entreprise dans des ateliers similaires, au service des enjeux business.

Laisser un commentaire

Haut de page