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Ayons confiance en nous

Vie des idées
2 juillet 2019

 

À quelles attentes répondait la création de l’Afci en 1989 ?

Pierre Labasse : À l’initiative de Christian Michon, professeur de marketing à l’ESCP, l’Afci répondait au besoin de structurer le nouveau métier de communicant.es et d’accompagner son développement. En effet, la communication interne était née de la nécessité pour les entreprises d’obtenir l’implication de leur personnel, après la grande crise pétrolière des années 1970. Il fallait passer de l’« information interne » à une véritable explication de l’organisation, de son environnement concurrentiel, de son marché, de sa stratégie et de ses difficultés.

Qu’est-ce qui a fait son succès ?

PL :  Elle a eu la chance de compter parmi ses premiers membres des personnes très compétentes, déjà ouvertes aux sciences sociales. Et elle a tout de suite fait appel à des personnalités de haut niveau (sociologues, syndicalistes, philosophes, économistes…) pour enrichir sa réflexion lors de déjeuners ou dîners-débats. Elle a aussi ouvert ses rangs à l’enseignement et à la recherche, ainsi qu’à des cabinets conseil qui apportaient une autre vision du métier. Enfin, elle a confié son développement à un prestataire extérieur, le cabinet Inergie.

Ingrid Maillard : Ces premiers membres de l’Afci ont été des éclaireurs et des éclaireuses, élaborant dès 1994 le premier référentiel de la fonction communication interne. Il affirmait déjà le rôle de conseil de la communication interne auprès des différentes parties prenantes de l’entreprise. Cinq ans après, l’association créait les Universités de la communication interne pour aider ses membres à accroître leurs compétences. Puis les Cahiers ont été lancés en 1997 pour enrichir encore les débats.

En quoi la communication interne d’aujourd’hui est-elle différente de celle de 1989 ?

PL : À la fin des années 1980, l’objectif des entreprises était d’accroître leur productivité et leur compétitivité. Ensuite est venu le temps des fusions et de l’ouverture internationale. Aujourd’hui, l’ambition est plus simplement de survivre. Les crises récentes ont sonné le glas des visions à moyen terme et des « projets d’entreprise » un peu idylliques.

IM : En effet, de nombreux repères ont disparu. Il y a vingt ans, les plans stratégiques pluriannuels balisaient encore l’avenir de l’entreprise ; aujourd’hui, on affiche les objectifs financiers de l’année et on demande à la communication de donner du sens à ce qui n’en a pas toujours, par de l’habillage. Entre deux écueils – aiguiser l’appétit de profondeur des salarié.es pour le décevoir ensuite, ou pratiquer en permanence la langue de bois – la ligne de crête est étroite.

PL : Il faut dire que la mondialisation et la financiarisation de l’économie se sont accélérées à une vitesse folle. On a assisté à des montages inédits, à l’arrivée d’acteurs étrangers au capital de sociétés jusque-là 100 % françaises. À la création de l’Afci, le principal partenaire de l’entreprise était le client ; aujourd’hui, c’est l’actionnaire qui exerce la plus forte influence sur la stratégie. Les équipes communication ont donc appris à travailler avec les départements financiers pour comprendre et expliquer les nouveaux enjeux.

IM : Aujourd’hui, les entreprises sont en permanente réorganisation, que ce soit par le transfert d’activités d’un pays à l’autre ou la reconfiguration des équipes. Les salarié.es n’ont plus la même visibilité sur leur parcours professionnel. Au quotidien, les transformations immobilières se multiplient, le télétravail se développe fortement. Pour toutes ces raisons, le lien à l’entreprise et au travail s’est profondément modifié. Les communautés professionnelles deviennent plus floues et la communication informelle se raréfie. Dans le même temps, la demande d’« engagement » n’a jamais été aussi forte chez les dirigeant.es.

PL : Une demande paradoxale ! car le dialogue social ne fait pas partie de notre culture, à la différence des entreprises allemandes, italiennes ou même britanniques.

IM : D’ailleurs il n’existe pas de module de communication interne dans les grandes écoles de management. Les élites de demain se préparent à gérer des crises et des plans sociaux uniquement au travers du prisme financier ou marketing. C’est certainement un axe à travailler dans les prochaines années.

La digitalisation n’a-t-elle pas aussi transformé nos univers professionnels ?

IM : C’est vrai, les réseaux sociaux ont bousculé les hiérarchies. Avant, les responsables recevaient l’information et choisissaient, ou non, de la partager. Aujourd’hui, toute convention est retransmise en direct et chacun peut la suivre. Nous devons tenir compte du principe, initié par les réseaux sociaux externes, qui donne le même poids à chaque voix. De plus, le digital a renforcé encore la porosité interne-externe et nous oblige à gérer prudemment les informations confidentielles. Aussi, on réserve en général les scoops à la presse alors que les collaborateurs et collaboratrices reçoivent l’information dans un second temps.

PL : Oui, l’Internet est le seul outil de communication à avoir transformé en profondeur les fonctionnements et les interactions dans l’entreprise. Reste que les fondamentaux du métier – l’écoute, l’observation, la capacité de médiation et la maîtrise des outils – n’ont pas changé. Et par rapport aux années 1990, les communicant.es ont acquis beaucoup plus de compétences !

IM : Cette capacité de médiation entre la direction et le corps social prend même encore de l’importance, car on voit bien la tendance, mondiale, à privilégier les approches collaboratives. Parallèlement, les équipes communication orchestrent toujours et organisent des contenus multiples, en fonction des canaux et des destinataires. Dans cette forme de cacophonie qui règne aujourd’hui, elles doivent savoir discerner l’essentiel. Elles doivent aussi veiller à la compréhension des enjeux complexes, à l’ère de l’infotainment où l’on renonce parfois à utiliser une langue élaborée, de peur d’ennuyer.

Comment voyez-vous la communication interne et l’Afci de demain ?

PL : En ce qui concerne le métier, je crois que les communicant.es devront continuer à « évangéliser » les dirigeant.es sur les attentes des salarié.es, à promouvoir l’expression et le débat au sein des organisations. Quant à l’Afci, elle a su garder jusqu’ici une caractéristique essentielle, son statut d’association dont les membres sont véritablement des acteurs. C’est ce qui lui a permis d’évoluer pour accompagner ses membres, notamment en plaçant les sciences sociales au cœur de ses activités. Il me semble important qu’elle conserve ce statut et cette autonomie à l’avenir.

IM :  En 2018, l’Afci a proposé un débat sur « la communication interne dans dix ans », qui nous a valu des demandes d’inscriptions bien plus nombreuses que d’habitude. Cela témoigne d’un intérêt toujours vif, malgré la morosité ambiante liée au déficit de reconnaissance du métier, au manque de moyens et à l’absence de formation des dirigeant.es. La communication interne reste un métier de vocation, pratiqué par des personnes qui croient à la nécessité de la médiation. Les communicant.es doivent préserver la modestie qui leur permet d’être à l’écoute, et de percevoir ce qui se passe dans l’organisation. Mais les équipes communication doivent aussi, à mon avis, développer leur confiance en leurs compétences et en la pertinence de leurs préconisations.

À l’avenir, ayons confiance en nous !

Par

Ingrid Maillard

Présidente de l’Afci

Et

Pierre Labasse

Président d’honneur

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