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Du bon usage des études pour produire du pouvoir d’agir

Vie des idées
2 janvier 2023

À l’occasion de la parution du livre blanc « Études en entreprise et communication interne », copiloté par l’Afci et l’agence Bona fidé, nous revenons avec Delphine Martelli-Banegas, directrice du département corporate chez Harris Interactive et Florence Osty, sociologue, sur le rôle des études en entreprise. Quelles méthodes adopter ? Quels pièges éviter ? Quel rôle pour les communicants dans un dispositif d’études ?

Propos recueillis par Raphaëlle Giniès, Directrice générale de l’agence Bona fidé (ex-Equancy&co)

Delphine Martelli-Banegas

Directrice du pôle Corporate chez Harris Interactive

Florence Osty

Sociologue intervenante, présidente de l’association Safir

Les communicants internes ont beaucoup œuvré sur comment « faire collectif » …

Delphine Martelli-Banegas , Directrice du pôle Corporate chez Harris Interactive

Quels sujets peuvent faire l’objet d’études internes ?

Delphine Martelli-Banegas : Traditionnellement, les études internes en entreprise portent sur tout ce qui touche au climat social. Où en sont les salariés ? Sont-ils mobilisés et mobilisables ? Sont-ils engagés dans la réussite de l’entreprise ? C’est un sujet qui épouse les préoccupations de tous les secteurs, tertiaire ou industriel. Mais récemment un autre sujet a pris de l’ampleur : celui de la transformation numérique des entreprises qui ne concerne pas seulement les fonctions de direction, mais nécessite également de se tourner vers les salariés. Ont-ils des questions ? Ont-ils besoin de formation ou d’accompagnement ? Il en va de même avec la généralisation du télétravail depuis le début de l’année 2020. Nous étudions les manières de les accompagner au mieux, car, outre les fonctions ressources humaines, les communicants internes ont beaucoup œuvré dans ce domaine en réfléchissant aux manières de « faire collectif ». Ces évolutions s’accompagnent de transformations pratiques.

Ainsi, qui dit réaménagement du travail, dit réaménagement des espaces de travail. Nous pilotons aussi des dispositifs et des outils de communication interne, que nous pré-testons parfois.

L’entreprise n’échappe donc pas aux mouvements d’opinion qui animent la société…

D. M-B. : Les études internes sont aussi des études d’opinion. Et les sujets ne manquent pas. Sur les nouveaux sujets RSE, qui traitent des questions écologiques ou sociales, nous nous adressons aux salariés en tant que citoyens également. Dans les métiers de l’énergie, traditionnellement très techniques et encore très masculins, nous interrogeons par exemple le traitement des questions de parité entre hommes et femmes. S’agissant du handicap, outre l’obligation légale des 6 %, le rôle des communicants internes est de savoir comment accompagner l’intégration et la carrière des salariés. En termes d’inclusion, nous nous saisissons aussi du sujet de la place des seniors, qui n’est là encore, pas qu’une problématique RH : il faut écouter ces salariés, comprendre ce qu’ils ont à donner à l’entreprise et à transmettre aux nouveaux arrivants.

Quelles sont les raisons de lancer une étude sociologique en interne ?

Florence Osty : Une entreprise fait en général appel à un sociologue lorsque quelque chose résiste à sa compréhension. Pour moi, intervenir en entreprise, c’est prendre en considération cette demande, l’interroger et l’analyser pour en dégager ce qui sera le point de départ de l’enquête. Qu’est-ce qui résiste à une compréhension immédiate ? C’est ce qu’on appelle une problématique, c’est-à-dire ce qui reste mystérieux, ce qu’il faut explorer. À l’issue de cette intervention sera produite une interprétation sociologique, laquelle a vocation à être restituée aux commanditaires comme une matière première pour qu’ils puissent s’approprier les résultats, partager une lecture en commun, agir et développer le pouvoir d’agir des différents acteurs de l’entreprise, à différents niveaux.

Une étude interne produit du pouvoir d’agir pour les communicants…

Florence Osty , Sociologue intervenante, présidente de l’association Safir

Très concrètement, comment une enquête se déroule-t-elle ?

F.O. : « Comment faire en sorte que les managers soient plus motivés ? » « Comment limiter le turn-over dans des services ? » Ce type de questions, nous allons les reprendre sous l’angle du « pourquoi » et non du « comment ». Cela suppose de prendre le temps. La question du temps est essentielle. Bien souvent, pourtant, on saute cette étape pour dire : « la demande que je vous ai adressée, c’est celle que je souhaite que vous traitiez ». En l’occurrence, résister à cette demande est le premier travail d’un sociologue. Il faut savoir dépasser la première question.

Sans quoi l’entreprise ne sera pas apprenante. Il est aussi important de ne pas arriver au sein de l’entreprise en « sous-marin ». Il faut que chacun soit au courant qu’une enquête a été décidée, qu’elle est en train d’être réalisée, et que celle-ci procède d’une instruction managériale. Il faut aussi cibler son objet de recherche, car tous les salariés d’une entreprise ne peuvent être interrogés. Cela prendrait un temps infini, sans être nécessairement utile. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur un comité de pilotage ou créer des instances ad hoc pour avoir un panel représentatif.

L’innovation a-t-elle sa place dans les études ?

F.O. : Nous construisons toujours des dispositifs ad hoc en fonction de la demande qui nous est adressée. Nous n’élaborons donc jamais deux fois le même déroulé : nous réalisons parfois des entretiens collectifs pour saisir ce qui se joue dans certaines interactions, d’autres fois nous procédons par entretiens individuels ou par observation participante. Dans le traitement du matériau en revanche, nous appliquons des routines bien éprouvées.

Si nouveauté il devait y avoir, ce serait peut- être dans le choix des théories que nous allons éprouver, puisque nous ne nous contentons pas de juxtaposer des constats d’enquête, nous interprétons ces constats dans une logique d’articulation de différents éléments. Le corpus scientifique sociologique évolue au fur et à mesure du temps et de l’avancée des travaux de recherche. De nouvelles théories peuvent apparaître et d’autres peuvent être ajustées pour faire parler le matériau collecté.

Quels bénéfices l’entreprise peut-elle retirer d’un dispositif d’études ?

D. M.-B. : Le bénéfice en termes de réputation externe et d’attractivité de l’employeur est réel. Les études favorisent l’engagement et la productivité des salariés, et donc in fine la performance de l’entreprise. Et comme les salariés jouent de plus en plus le rôle d’ambassadeurs de leur entreprise, les améliorations internes se voient aussi à l’externe. Autrefois, la performance était avant tout économique. Aujourd’hui, il est acquis que les études peuvent aider à la performance sociale, et réciproquement.

F.O. : Nous sommes là pour montrer le bénéfice qu’il y aurait à faire une pause. Nous proposons de prendre le temps d’interroger toutes les parties prenantes, tous les acteurs porteurs d’une demande qui souvent est une demande d’action. La démarche peut sembler contre-intuitive au départ, mais lorsque cette pause est faite, le bénéfice apparaît clairement. Certes, cela vient heurter la dynamique d’accélération, d’agitation permanente dans lesquelles les organisations sont prises – ce qui n’est pas un reproche de ma part. Les dirigeants ont rarement le luxe de prendre le temps de la réflexion. Ils sont pris dans un flux qui ne s’arrête jamais. Notre place de tiers consiste aussi à déculpabiliser les acteurs dirigeants qui sont animés de l’idée selon laquelle ils devraient savoir – savoir quel chemin suivre, savoir quels problèmes résoudre, etc. Nous devons pouvoir leur dire « vous ne maitrisez pas tout, mais ce n’est pas grave ! ».

Dans le domaine des études, le temps de la mise en place est extrêmement important. C’est même l’un des principaux points de vigilance…

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Quels sont les écueils à éviter ?

D. M.-B. : Une enquête ne peut pas se faire en 3, 5, 10 ou même 15 jours. Il faut prendre le temps au départ de faire le tour de toutes les questions qui traversent l’entreprise, et d’identifier clairement vers quel objectif converger. Autrement, le résultat sera sûrement déceptif pour tout le monde. Ce premier moment de partage sert à définir les objectifs, à construire un questionnaire qui a du sens. Il sert aussi à réfléchir ensemble à la restitution des résultats. À qui sera-t-elle adressée ? Quand ? Sous quelle forme ? Réaliser une enquête interne, sans jamais se poser ces questions, peut vous conduire droit dans le mur.

Sur les sujets de transformation, on peut pourtant avoir le sentiment qu’il y a urgence à agir… ?

D. M.-B. : Il faut laisser le temps au temps. Nous devons toujours nous demander quel est le moment opportun et la bonne fréquence pour interroger les salariés. Nous avons essuyé quelques revers dans certaines entreprises, en l’occurrence celles qui se sont accoutumées aux démarches d’écoute interne de type « mood ». Il y a eu une espèce de frénésie consistant à tout mesurer tout le temps. Les salariés étaient sur-sollicités, ce qui in fine, a débouché sur des résultats qui n’étaient ni statistiquement fiables, ni représentatifs.

Comment votre intervention est-elle perçue au sein de l’entreprise ?

D. M.-B. : Nous apportons un regard extérieur. Nous ne sommes ni des communicants internes ni des acteurs de l’entreprise. Nous n’avons donc pas la connaissance de l’entreprise. Notre rôle consiste à réunir les conditions d’un dialogue fructueux entre les communicants internes et d’autres acteurs de l’entreprise, afin de faciliter la mise en place de plans d’action et d’accompagnement des salariés de toute l’entreprise.

F. O. : Je dis souvent qu’on fait appel au sociologue avant de faire appel au sorcier. C’est une manière de dire que la plupart des dirigeants ne considèrent pas que les sociologues soient des acteurs utiles pour éclairer les problèmes qui touchent l’interne. Tout dépend bien entendu des milieux professionnels, certains sont malgré tout très « sciences socialisés ».

Quel est le rôle du communicant dans un dispositif d’étude interne ?

F. O. : Il est toujours intéressant de travailler avec des acteurs relais, comme l’est le communicant, qui a la légitimité suffisante pour conduire des enquêtes en interne. Le communicant est un acteur-médiateur, un acteur d’interface. C’est un acteur extrêmement important qui relie le haut et le bas, les différentes composantes de l’organisation, mais aussi l’interne et l’externe. Il est donc très bien placé pour être à l’origine d’une dynamique d’enquête. Nous travaillons aussi avec des médecins du travail et des préventeurs santé- sécurité. En outre, ce sont des acteurs qui ont dans le contexte actuel, besoin d’être équipés.

Le communicant est donc là pour piloter, pour crédibiliser la démarche et la sécuriser…

D. M.-B. : La question est double : comment convaincre du bénéfice des études et comment rassurer. Pour la partie « rassurer », nous avons des atouts. Nous nous appuyons sur un travail, une expérience, une expertise : la sociologie pour Florence, les méthodologies d’enquête pour moi. En étant extérieures aux entreprises, nous sommes également objectives et impartiales. Le communicant, quant à lui, joue en effet un rôle-clé dans la stratégie de conviction pour installer l’idée que l’étude est nécessaire.

F. O. : Les entreprises ne se posent pas assez de questions autour du travail. Certes, elles s’interrogent sur la périodicité du télétravail, sur la meilleure manière de faire du flex-office, etc. Mais que veut dire travailler aujourd’hui ? C’est la question qui est devant nous. Il serait intéressant de l’investiguer, encore faut-il qu’il y ait une demande. La question du rapport au travail, à l’entreprise et au collectif sont des thématiques absolument structurantes de la vie au travail. Or, elles ont été très altérées depuis deux ans.

L’Afci a publié en partenariat avec l’agence Bona fidé (ex Equancy&co) un livre blanc traitant des études en entreprises et du rôle de la communication interne. L’Afci s’est appuyée sur un groupe de travail réunissant des experts des études en entreprises (Orange, EDF, La Poste, RATP) ou en institut d’études et des experts en sociologie des entreprises pour mener à bien son projet. C’est la somme des expertises, des échanges et des analyses portées par chacun des membres de ce groupe qui est à l’origine de ce guide méthodologique, de la construction progressive et solide des contenus qui y sont proposés.

Observer, écouter, enquêter fait partie intégrante du métier de communicant. Mais la démarche doit être bien balisée et les projets être bien argumentés pour exister. Le livre aborde donc le champ des études avec le souci d’en éclairer les différentes facettes et, surtout, de permettre aux communicants de se poser les bonnes questions en connaissance de cause. Qu’attendre d’une enquête générale ou d’engagement ? Comment y intégrer l’enjeu de la communication ? Faut-il mettre en place un baromètre spécifique de communication ? Le guide propose ainsi des repères utiles pour construire un dispositif d’étude interne. Réalisé à l’intention des communicants internes, ce livre vise véritablement un accompagnement sur mesure et aide à se poser les bonnes questions à chaque étape d’une telle démarche.

Il est disponible en format digital ou papier sur le site de l’Afci et auprès de l’agence Bona fidé (stock limité).

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