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L’intelligence collective, ou la force du commun

Vie des idées
6 décembre 2021

Olivier Piazza

Codirecteur des D.U Executive Coaching, Intelligence Collective & Management à l’université de Cergy-Pontoise

De la facilitation ponctuelle au développement de démarches plus amples et plus sophistiquées, l’expression de l’intelligence collective prend de plus en plus corps dans les organisations du travail. Olivier Piazza rappelle de quoi il s’agit. « Lintelligence collective est une potentialité latente de tout collectif. Elle émerge du dialogue et des interactions entre ses membres lorsque leurs besoins psychologiques fondamentaux dautonomie,daffiliation et de compétence sont nourris, lorsqu’ils agissent de manière autodéterminée au service dune finalité épanouissante commune, lorsqu’ils sauto-organisent et sauto-gouvernent. » Cette montée en puissance de l’intelligence collective tient pour beaucoup à la nature des problèmes que les organisations doivent affronter.  La logique du command and control ne permet pas le plus souvent d’y faire face. De plus en plus, on a besoin de faire appel au réseau, à une réflexion décentralisée, à une approche remontante pour répondre à des aléas, des problèmes, des enjeux complexes. Selon Olivier Piazza, quatre dimensions sont à prendre en compte pour faire émerger l’intelligence collective.

S’adapter à la complexité

L’un des mots clés de l’intelligence collective est l’adaptation ; s’adapter à des situations, des crises, des défis. Longtemps, on a pensé que tout se jouait dans la capacité à donner des ordres, à se mettre en ordre de bataille et à structurer l’organisation. Or, l’adaptation, aujourd’hui, exige aussi autre chose, c’est-à-dire une adaptation des uns aux autres par flux permanents de communication et boucles de rétroaction. à côté de la hiérarchie, il faut faire place à une hétérarchie. Grâce à de multiples formes d’auto-organisation, les individus se sentent directement concernés, car ils ont, ou se donnent, une capacité d’initiative et d’action. Cette approche permet au système de devenir plus « apprenant » et d’être capable de s’adapter, sans que toutes les compétences ne dépendent que d’une structure centrale. Les systèmes ont besoin de démarches ascendantes, dans lesquelles les personnes se structurent pour réfléchir, concevoir, décider ensemble, ceci impliquant bien entendu de faire confiance au collectif. L’intelligence collective est donc à la fois un mode de fonctionnement et une ressource qui peuvent être sollicités à des fins bien précises pour permettre à une organisation de s’adapter à des transformations, trouver des solutions, travailler une nouvelle vision, résoudre un problème ou se projeter dans le futur.

Créer un cadre de sécurité pour faire place à l’autodétermination

L’intelligence collective vient de la psychologie, et notamment de l’étude de la motivation et de l’engagement des personnes. Elle a donné lieu à de nombreuses recherches de terrain qui, toutes, convergent autour de la nécessité de créer un cadre de sécurité pour répondre aux besoins d’autonomie, d’affiliation et de compétence. Sans cette sécurité, l’engagement fera défaut. Pourquoi voudriez-vous que des salariés s’engagent dans une telle dynamique décentralisée si, par ailleurs, tout est orienté et décidé en haut ? La création d’un cadre de sécurité est un préalable pour permettre au collectif de se mettre en situation de produire un commun dans la bienveillance et la suspension de jugement.

Faire place au dialogue

L’intelligence collective s’appuie sur le dialogue. Encore faut-il en permettre le développement. Créer les conditions du dialogue suppose des temps, des lieux dédiés, des formes, mais aussi des règles du jeu claires. De quoi parle-t-on ? de quoi se parle-t-on ? Ce dialogue se joue pour l’essentiel dans les équipes ou les structures projet au plus près des situations, mais il peut aussi intégrer des dimensions larges, stratégiques. C’est au groupe de se donner un cadre de dialogue pour aboutir. à certaines conditions, des séminaires ou des conventions, par exemple, peuvent être des actes d’interaction sociale et humaine. Pour tenir le cap d’un dialogue utile, il faut faire place à chacun, indépendamment de sa position dans l’entreprise, afin de prévenir autant que possible tout déséquilibre ou toute forme de domination.

Longtemps, on a pensé que tout se jouait dans la capacité à donner des ordres, se mettre en ordre de bataille et structurer l’organisation

Olivier Piazza, Codirecteur des D.U Executive Coaching, Intelligence Collective & Management à l’université de Cergy-Pontoise

Viser le commun

Il est passionnant d’observer comment des collectifs réussissent à s’auto-organiser, à faire des choix et à prendre des décisions par cogouvernance pour préserver une ressource naturelle ou créer un commun. L’auto-organisation a été à la base du monde de lopen source, par exemple. Nous savons nous organiser, créer un dispositif de gouvernance et produire un dispositif commun pour un sujet qui nous tient à cœur. L’identification et la préservation de valeurs communes constituent une ressource essentielle pour les acteurs. C’est vrai aussi en entreprise. Travailler à faire valoir le commun dans une situation ou un projet est quelque chose qui, non seulement soutient l’attention, mais suscite un engagement individuel et collectif. Le développement des sociétés à mission ou BCorp, représente autant de domaines qui attestent de l’importance du commun appliqué aux organisations.

Le monde volatil, incertain, complexe et ambigu dans lequel nous évoluons désormais nécessite de savoir s’adapter en permanence, de trouver des solutions aux nouveaux problèmes qui émergent. La crise sanitaire et ses effets sur les organisations donnent une actualité, s’il le fallait, à l’expression de l’intelligence collective. Il a fallu inventer collectivement des façons de travailler ensemble dans cette crise. Le top down n’a pu fonctionner sans l’intelligence collective des managers, des équipes, des RH et des communicants internes. Et ce n’est pas fini. Les organisations ont à repenser leur nouveau cadre de travail. Saura-t-on faire place à la subsidiarité dans ce domaine et à l’intelligence collective des équipes ? Nous avons les moyens, y compris via le numérique, pour permettre à des communautés de s’auto-organiser afin de trouver des solutions à des problèmes urgents nécessitant la mise en commun de compétences multiples.

Les entreprises vont avoir, de manière croissante, besoin de diversité en termes d’expériences, de compétences pour permettre au corps social de faire émerger les idées et les solutions permettant de relever les défis à venir. Ceci sera possible si autonomie et capacité d’initiative sont permises aux équipes, en faisant confiance et en acceptant de la disruption et des combinaisons hybrides, en maintenant un échange et un feedback permanent. L’intelligence collective nécessite un alliage subtil où l’hétérarchie, l’autodétermination, le dialogue et le sens du commun se combinent.
Les organisations ont sans doute beaucoup à y gagner dans les temps que nous allons vivre.

Propos recueillis par Isabelle Reyre, directrice associée, Arctus, administratrice de l’Afci

Intelligence collective : retour sur une expérience

  • Des participants volontairement limités à une vingtaine se sont donné rendez-vous en ligne, le 14 janvier 2021 au matin, pour passer trois heures « ensemble ». Ensemble mais à distance, par écrans interposés, dans un cadre préparé par un facilitateur professionnel.
  • Les participants se mettent d’abord d’accord sur les principes clés de la matinée : écouter avec attention. Parler avec intention. Être bienveillant. Se faire confiance. Respecter le cadre.
  • C’est en sous-groupes que les participants répondent à la question au cœur de la rencontre :
    « Quels sont les plus gros défis de communication que vous rencontrez actuellement dans votre
    activit
    é ? ». Après une phase de travail en sous-groupes, puis de partage en commun, le défi sur lequel la majorité des participants se sont retrouvés est celui du « maintien du lien et du collectif ».
  • à nouveau en petits groupes, un temps de dialogue productif cherche à répondre à la question « De quoi auriez-vous besoin pour relever ce défi au sein de votre organisation » ?
  • Enfin, dernière étape, il s’agit, individuellement et personnellement, de répondre à deux questions : « Que pourriez-vous mettre en œuvre dans votre organisation pour répondre efficacement à ces besoins prioritaires ? Comment l’Afci pourrait-elle vous soutenir ? »
  • Cette méthode de travail en intelligence collective a permis à la fois à chacun de réfléchir sur sa thématique professionnelle propre, de s’enrichir des idées de ses collègues et de donner des orientations à l’Afci pour son évolution future. L’occasion aussi d’une jolie rencontre entre deux participantes : l’une disposait d’un mannequin de couture visible dans son arrière-plan, l’autre était à la recherche du même objet, et elles ont décidé de se mettre en contact pour faire affaire ! 

Issu du numéro 47 des Cahiers de la communication interne

L’intelligence collective nécessite un alliage subtil où l’hétérarchie, l’autodétermination, le dialogue et le sens du commun se combinent

Olivier Piazza, Codirecteur des D.U Executive Coaching, Intelligence Collective & Management à l’université de Cergy-Pontoise

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