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Pourquoi mobiliser les sciences sociales dans les organisations ? 3 questions à François Dupuy, Sociologue

Vie des idées
2 juillet 2019

 

En 30 ans, la sociologie des organisations semble avoir disparu au profit de la «psychologie positive». Quelle est votre analyse ?

Les sciences sociales, la sociologie en particulier, n’ont effectivement plus guère droit de cité parmi les «outils» utilisés par les entreprises pour résoudre les problèmes humains et organisationnels auxquels elles font face. D’autres approches, pourtant souvent naïves et/ou artificielles, les ont chassées de territoires qui leur étaient auparavant acquis.

Une étude récente a montré que le mode comportemental dominant chez les cadres est celui de l’action, précédant la réflexion et donc s’exerçant à partir des résultats obtenus. Les sciences sociales suggèrent l’inverse et sont donc perçues comme « lentes » et créatrices d’une complexité artificielle qui pourtant constitue la réalité de n’importe quel ensemble humain. Et il est vrai qu’aujourd’hui, plutôt que d’affronter cette embarrassante complexité, les entreprises ont fait le choix de « psychologiser » les comportements.

Le marché du conseil ne s’y est pas trompé qui a vu une éclosion impressionnante des « coachs », chargé.es de gérer un humain individualisé donc plus simple, et surtout débarrassé de ses contraintes systémiques.

Vous dénoncez la pensée managériale « mainstream ». Comment se traduit-elle ?

Les entreprises sont de moins en moins disposées à recourir à une approche les mettant face à une complexité parfois exigeante, impliquant de leur part un effort pour la maîtriser, les obligeant à raisonner autrement et à sortir de schémas simplistes, de recettes et de la vacuité des modes managériales. Et c’est vrai qu’il est difficile d’accepter « l’intelligence des acteurs », celle-ci renvoyant chacun à ses propres responsabilités dans la construction du « contexte » dans lequel s’exprime cette intelligence au détriment d’injonctions contradictoires, de « valeurs » lancées sans connaissance approfondie des univers dans lesquelles elles vont venir « s’écraser », tout en démonétisant la parole de celui ou ceux qui les ont émises.

Les sociologues ont sans doute une responsabilité, n’ont-ils pas manqué leur communication ?

Oui, il leur appartient maintenant de faire leur autocritique et « d’écouter » ceux et celles à qui ils souhaitent proposer leurs services.

Nul doute que la difficulté des spécialistes de ces disciplines à trouver un vocabulaire et un argumentaire audibles et convaincants pour les dirigeants, principaux « acheteurs » de conseil, a contribué à leur recul.

Compte tenu de l’évident rapport de forces, et si les sociologues veulent survivre dans les entreprises qui les ont autrefois aimées, elles doivent aider à la formation de cadres qui puissent à la fois comprendre l’apport des sciences sociales et ne pas les considérer comme « passées de mode » mais aussi les pousser vers une adaptation de leurs méthodes sans laquelle le combat est perdu d’avance.

Cette interview est issue des Cahiers de la communication interne n°44

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