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Le récit d’Émilie

Récits de métier
17 février 2025

Communication interne : le virage de la donnée et de la mesure

Émilie

Conseillère principale en communication d’une entreprise de services financiers

aquarelle représentant une femme avec un casque micro devant plusieurs écrans d'ordinateur sur lesquels figurent des graphiques de statistiques
Illustration par Bénédicte Tilloy

Je travaille dans une entreprise coopérative financière au Québec et je suis conseillère principale en communication depuis une douzaine d’années, essentiellement en communication interne. Chez nous, les intitulés de poste sont très formalisés et répondent à des règles précises. Il n’existe donc pas d’intitulé conseiller en communication interne. Mes collègues et moi travaillons avec des partenaires internes. C’est le vocabulaire qu’on utilise.

Aujourd’hui, je fais partie d’une équipe de cinq personnes qui s’occupe de stratégie et d’innovation en communication. Cette équipe est située au sein du département Communication d’entreprise et gestion du changement, constitué de plus de 200 personnes. La moitié, au moins, ne font que de la communication interne.

Mesurer la communication interne

Dans l’organisation, mon premier poste était en communication et intégration d’affaires. Je m’occupais essentiellement de gestion de changements sur des projets d’amélioration continue des processus clients. En fait, j’accompagnais les managers et les gestionnaires de projets, par exemple en termes de coaching, de formation, de communication et d’alignement organisationnel aussi. Aujourd’hui, je ne suis plus dans la communication interne opérationnelle à proprement parler. Je gère des projets de développement en communication, des projets d’évolution du métier. Spécifiquement, je m’occupe de données. Je cherche à développer et à intégrer des outils de mesure et de stockage pour gérer les données de communication générées dans notre département. En bref, j’aide les communicateurs à évaluer leur travail, à mesurer leur activité et à utiliser cette mesure dans le cadre de leur travail. C’est assez nouveau chez nous.

Comment mesurer la communication interne ?

C’est une question qu’on se pose depuis un certain temps. Mais elle est devenue centrale à présent. On a développé une démarche de mesure, comprenant différents paramètres (cible, mesure, temps, etc.). Par exemple, atteindre 90 % de taux de lecture d’une nouvelle publication sur le portail interne en deux semaines. Je les accompagne dans cet apprentissage-là : chercher leurs données, en faire une analyse et en discuter avec leurs partenaires internes. Notre organisation est une structure démocratique – une coopérative – avec un système électif des hauts dirigeants. Pour eux comme pour nous, la mesure est maintenant une nécessité. Nos travaux entrent donc dans cette logique et ces hauts dirigeants sont aussi très intéressés par la mesure de la communication.

Mon poste et mon équipe ont été créés il y a trois ans à partir d’un consensus de la haute direction du département. Ils souhaitaient qu’une équipe prenne en charge l’évolution de la communication et de la gestion du changement dans le contexte d’un développement stratégique des affaires. On a donc leur soutien sans avoir complètement carte blanche. Je dois faire valider mes idées, je dois convaincre de leur valeur. Mais ce soutien est essentiel.

Mesurer pour s’adapter

Avec mon équipe, on travaille beaucoup en brainstorming, en réflexion, en projection sur ce qui va arriver, ce qu’on veut faire, ce qu’on peut faire. On cherche les évolutions possibles, souhaitables et innovantes. Bien entendu, je suis continuellement en relation avec le comité de gestion (vice-président et directeurs principaux). On mène une réflexion sur nos pratiques de communication pour les faire progresser en contexte de changement. Et les questions de mesure et d’évaluation y ont toute leur place. Je considère que c’est un incontournable pour le développement de la profession. Ensemble, on s’interroge alors sur les pratiques en communication, sur la montée en compétence des conseillers et conseillères, et bien entendu sur les technologies. Nous proposons le tout à notre comité de gestion : “Voici ce vers quoi on doit aller en matière de communication”, “Voici ce vers quoi doit évoluer le travail d’un communicateur”. Par exemple, l’IA est le sujet du jour actuellement. Des outils sont disponibles, mais qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on traite la question de la sécurité au regard de notre activité ? Comment on protège nos informations et donc nos partenaires, nos clients ? Mes collègues et moi amenons ces transformations et en coordonnons la mise en place et l’exécution. En parallèle, pour mes projets, je dois trouver les bonnes personnes avec les bonnes compétences et qui ont la disponibilité pour m’aider à les développer.

Toutefois, je ne suis pas certaine que les communicateurs et communicatrices comprennent tout ce que fait notre équipe, notre réflexion sur les données et la mesure. C’est normal en même temps. Nous sommes dans la réflexion et eux, sont dans un quotidien surchargé. Ils se préoccupent d’abord de leur quotidien, de ce qui a une incidence sur leur travail. Je ne perds pas de vue que la mesure en communication, plusieurs n’en faisaient pas auparavant. Cela leur a été imposé par la haute gestion. Du jour au lendemain, on leur demande de produire des analyses chiffrées à partir de leur mandat et de leurs dossiers. Pour eux, c’est un important changement, une nouvelle façon de travailler. Et l’IA accentue ce changement-là. Son développement risque de remplacer le travail en communication qui a une moindre valeur ajoutée. Par exemple, faire des comptes-rendus de rencontres. En ce moment, on l’expérimente et je suis très impressionnée. Cela va permettre aux conseillers de gagner du temps. Mais ce développement demande aussi de faire évoluer leurs compétences. Demander à l’IA de faire quelque chose est un apprentissage, formuler une demande est une compétence à acquérir. Et tous les conseillers ne sont pas égaux devant cet apprentissage-là. Pour certains, c’est plus difficile.

Développer l’expertise en communication

Un projet en ce moment ?

Je travaille actuellement sur un programme de projets en données et analytique. J’ai commencé par faire un diagnostic sur la question. Quelles sont les données existantes ? Qui les produit ? Avec quels outils ? Qui manipule de la donnée et pour quel usage ? Où notre vice-présidence se situe-t-elle dans les technologies utilisées comme dans les compétences nécessaires pour ce faire ? J’en ai relevé douze constats que j’ai présentés au comité de gestion. Sur cette base, je leur ai demandé ce qui était prioritaire pour eux. À partir de leurs réponses, j’ai construit un plan d’action. Actuellement, on est en train de le mettre en place et de communiquer à ce propos.

Un exemple de priorité : l’expertise. Les personnes dont le travail est essentiellement de manipuler de la donnée ont des compétences très variables. Par ailleurs, ces personnes sont peu nombreuses. Si l’une s’en va, c’est un problème. Il faut donc penser leur formation, penser aussi une base d’expertises ou de savoirs, penser enfin les prochaines embauches (quelles sont les compétences nécessaires ?). Un autre exemple : les indicateurs de performance. Le comité de gestion souhaite se doter d’un tableau de bord de performance pour la vice-présidence. Un dernier exemple : la gouvernance et la structuration des données, que j’ai identifiées comme prioritaires. Les travaux sont enclenchés, mais peu de managers sont parfaitement au fait de ce qui s’y passe pour le moment. Ça devra se faire éventuellement…

J’observe qu’un virage organisationnel est en train de s’opérer avec la donnée. Les employés, les clients génèrent de la donnée. Il s’agit alors de la faire fructifier : dégager des tendances, une meilleure connaissance de nos publics. Pour le marketing, ce sont les données client, d’autant plus importantes dans le secteur des services financiers. C’est un sujet de préoccupation fort de la vice-présidence : comment intégrer l’évaluation et la mesure de la communication interne dans les pratiques d’affaires. Plus qu’une préoccupation, je peux même parler d’une injonction à prendre ce chemin. Il faut donc traduire cette injonction de la haute direction dans le quotidien des conseillers et conseillères, afin qu’ils se disent “Je fais des choses, mais je dois vérifier si ce que j’ai fait a porté ses fruits”.

En fait, il y a quelque chose de très politique dans l’entreprise sur la façon de percevoir la communication interne

La communication interne et au-delà

En fait, il y a quelque chose de très politique dans l’entreprise sur la façon de percevoir la communication interne. C’est pourquoi j’ai éprouvé le besoin d’analyser cela dans ma propre organisation, de voir si c’était autant perceptible dans d’autres organisations. Il fallait que je regarde plus finement les interactions entre les communicateurs et la haute direction, qu’ils travaillent en interne ou en externe. Il y avait un paradoxe à parler, d’un côté, de petite com’ pour la communication interne comparée à la grande com’ que seraient les relations publiques, et, de l’autre, de voir à quel point les exigences en matière de communication interne prennent de plus en plus de place. Quand je suis arrivée dans l’entreprise, j’ai tout de suite compris qu’il n’était pas question de se contenter d’éditer des infolettres ou de publier des nouvelles sur le portail. J’ai réalisé que, en travaillant en communication interne, on était vraiment partie prenante de grands sujets de réflexion, de grands projets de développement. Il était attendu de nous un travail de compréhension, de réflexion et des propositions ; pas seulement de faire de l’opérationnel.

Par exemple, dans tout projet d’amélioration mené par l’entreprise, si je détectais dans le processus de travail, en tant que communicatrice, un possible préjudice pour le partenaire interne ou les clients, j’étais légitimée d’interpeller le gestionnaire de projet. J’ai trouvé cela assez particulier, très motivant aussi. C’est ce qui m’a poussée à faire une thèse. Ce travail m’a permis d’identifier que la relation de la communication interne à la direction est très déterminante. Cette relation est clairement un vecteur de légitimation pour la communication interne. Je l’ai expérimenté personnellement. Si la haute direction ne croit pas en la communication interne ou n’y connaît rien, on doit lutter en permanence pour développer nos idées et nos projets. Si la communication interne est portée par la haute direction, on a beaucoup plus de facilité à se mêler de ce qui ne nous regarde pas a priori !

Demain, la communication interne

Mais rien n’est écrit pour demain. Par exemple, notre président actuel croit en la communication. Il est lui-même un grand communicateur, il est très charismatique. Mais tout président est élu sur un mandat, pour une durée. Or, des élections approchent. Un nouveau va être élu. Quelle va être sa perception de la communication interne ? Comment va-t-il vouloir travailler avec nous ? Un retournement est toujours possible, qui peut se traduire par des coupures de budget ou de postes. Est-ce que demain on pourra développer nos projets et la communication interne ? Quel sera notre leadership ? Ce leadership-là est très arrimé à la légitimité qu’on obtient de la haute direction. Ce constat nous fait réfléchir mes collègues et moi, sur la manière dont on traite nos propres affaires en communication. Le fait de faire de la mesure n’est pas étranger à notre volonté de montrer l’impact de la communication interne sur l’organisation. Si on est capable de montrer notre valeur ajoutée, on vient légitimer notre présence et notre action.

Quoi qu’il en soit, je suis aujourd’hui sur un type de poste qui me convient parfaitement. Je suis dans une posture de réflexion, de projection. Mais je ne sais pas pendant combien de temps encore ce sera possible de le faire. Je ne suis pas inquiète pourtant car je ne pense pas que cela va changer du jour au lendemain, même avec l’arrivée d’un nouveau président.

En revanche, la communication interne va changer. Et, à mon avis, l’évaluation, la mesure, la donnée sont les éléments clefs de demain. Je pense que, dans peu de temps, le travail en communication interne sera bien différent. L’IA et les données en sont les principales responsables. Est-ce que cela pousse à une réduction des postes en communication interne ? Ce n’est pas impossible. Pourtant, je ne suis pas dans une organisation qui coupe rapidement dans les effectifs, ce ne serait qu’en cas d’extrême nécessité. En tout cas, je pense que les prochaines embauches vont mettre l’accent sur la capacité d’analyse chiffrée bien plus que sur l’habilité numérique ou les capacités opérationnelles. La clef va être la capacité à agir avec l’IA, à lire les données, à les interpréter, à en faire une analyse pour faire évoluer les pratiques. Ce que j’anticipe, c’est une évolution de la conception du travail, une transformation des postes et, bien sûr, des compétences des communicateurs.

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