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Le récit d’Anaïs

Récits de métier
15 janvier 2024

« La communication interne est un travail au long cours. Nous ne sommes pas dans l’hystérie d’un rendu immédiat. »

Anaïs

Directrice de la communication interne d’une grande entreprise de l’audiovisuel

Je dirige la communication interne d’une entreprise de l’audiovisuel depuis un an et demi. J’y travaille depuis une vingtaine d’années, dont plus de quinze au sein du département de la communication où j’ai exercé l’ensemble des métiers liés à cette fonction, mais essentiellement à l’externe : publicité, partenariats, corporate, institutionnel… En somme, je connais tous les métiers de la com !

Auparavant, j’ai passé deux ans et demi dans une SS2I qui se lançait dans la création de sites web. Avant cela, j’ai travaillé six ans dans la production de spectacles vivants. J’ai commencé mes études supérieures par un BTS de publicité, avant de rejoindre la Sorbonne pour un DEA de communication appliquée aux sciences de l’art. Il s’agissait de comprendre en quoi la création artistique peut être utile pour communiquer. Il y avait une partie sociologie et ethnologie, mais aussi des intervenants comme Pierre Soulages. En sortant de ce DEA, je me suis sentie pleine de connaissances, mais pas assez armée pour être immédiatement opérationnelle. La connaissance du terrain est venue après. Le programme de mon BTS publicité était pourtant très qualitatif et complet quant au secteur des médias dans lequel je voulais évoluer. Ensuite, la fac m’a apporté une certaine hauteur de vue, notamment sur le plan sociologique.

Mon travail quotidien consiste à animer une équipe de 16 personnes. J’emploi ce verbe « animer » car j’anime plus que je ne fais du management hiérarchique. Animer un groupe est plus dans ma nature. Selon moi, le management doit se rapprocher de l’animation plutôt que du commandement. Je n’emploie jamais les mots « subordonnés » ou « salariés ». Je n’aime pas tellement le jargon RH en général. « Collaborateur », j’aime bien !

L’activité de communication interne dans l’entreprise pour laquelle je travaille se résume à informer au maximum l’ensemble des collaborateurs, quant aux décisions, aux évolutions, aux succès et aux positions de l’entreprise, mais aussi à valoriser ceux qui la font avancer. Il s’agit également de donner une visibilité à l’ensemble des métiers, de défendre les valeurs de l’entreprise et de faire participer les collaborateurs aux projets, afin qu’ils soient impliqués dans la vie de l’entreprise.

J’admets que cette mission n’est pas toujours évidente, surtout après la pandémie de Covid-19. Comme beaucoup d’entreprises, nous avons mis en place un accord de télétravail. Ce mode de travail hybride a modifié beaucoup de choses en termes de participation. La donne a changé, mais il faut s’adapter. Offrir le même niveau d’information pour tous suppose une proximité étroite avec la gouvernance de l’entreprise. En outre, il est toujours mieux d’apprendre les nouveautés en interne que par voie de presse, même si cela peut arriver. Il s’agit donc de missions d’information, de valorisation, d’explication des choix et de participation à la vie de l’entreprise.

Je ne suis pas positionnée au cœur de la prise de décision. C’est ma N+1 qui fait partie du comex. Je suis donc au niveau N-2 vis-à-vis de la présidence. Comme je suis très proche de ma N+1, elle me redescend beaucoup d’informations et de décisions qui seront mises en place et sur lesquelles nous devrons communiquer. J’ai donc une longueur d’avance par rapport à beaucoup de communicants. La stratégie du secret qui peut être pesante laisse quelquefois filtrer des informations déformées.

Certains communicants peuvent se plaindre de manquer de stratégie claire ou de devoir combler les trous. Ce n’est pas notre cas. Mon entreprise n’apprécierait pas que nous inventions une stratégie. A partir de la stratégie instituée, nous avons développé des moyens de communiquer assez efficaces auprès des collaborateurs, notamment à travers la vidéo, l’interactivité et les chats, entre la présidence et l’ensemble du personnel. La nature de notre structure, axée sur l’audiovisuel, permet de créer des supports animés très facilement. Nous sommes plutôt bien lotis.

Une journée de travail type en mode hybride

Ma journée de travail type s’organise ainsi : vivant assez loin du siège, j’arrive au bureau à 9 h 15. Cette distance devient un peu fatigante à mon âge, mais cela reste un réel bonheur de travailler dans un environnement différent de celui où je vis. Dès mon arrivée, je lis la revue de presse qui concerne l’entreprise, ainsi que tout ce qui se dit d’un point de vue corporate et institutionnel. Je continue avec la gestion des emails… Une phase qui peut être longue. J’ai une technique, afin de ne plus être polluée par les emails. J’identifie très vite ceux qui n’auront pas d’utilité et je les écarte immédiatement. Enfin, comme mon bureau reste toujours ouvert, je rencontre et échange très vite avec mon équipe.

Nous ne sommes pas en open-space. Les responsables ont un bureau individuel, sinon ce sont de grands bureaux de deux ou trois personnes. Cependant, nous avons un projet où tout le monde sera en bureaux partagés voire en flex-office. Cette dernière option ne fait plaisir à personne, mais c’est ainsi! Ensuite, je poursuis avec les dossiers en cours concernant les départements de la direction. À midi, soit je déjeune, soit je vais à la piscine, située pas très loin. En général, j’ai trois visioconférences dans la journée, allant de 30 minutes à une heure et demie. Parfois avec des collaborateurs en télétravail.

Notre accord porte sur deux jours et demi de télétravail, soit 50 % du temps. La Communication a opté pour le lundi et le vendredi. Les collaborateurs de ma direction ont tous signé l’accord de télétravail, donc le lundi et le vendredi, plus une journée supplémentaire une semaine sur deux. La plupart respectent ces créneaux, mais il y a toujours une présence le lundi et le vendredi. Dans l’entreprise, environ50 % ont pris l’accord de télétravail, sachant qu’un grand nombre ne peut pas exercer son métier à distance. Pendant le confinement, l’entreprise a continué à bien fonctionner. Cela prouve que cela marche.

Pour ma part, pendant six mois de l’année, je ne suis pas en télétravail. Les six autres mois, je me mets en télétravail le vendredi. C’est une organisation personnelle que j’ai choisie. J’aime aussi être au bureau toute la semaine, car l’installation est meilleure que chez moi. De plus, la piscine est à proximité et je m’offre deux heures de lecture par jour dans les transports.

Par ailleurs, au cours de ma journée, je consacre du temps à rencontrer des entreprises ou des prestataires autour de la technologie qu’ils proposent ou sur des thématiques liées, soit en me déplaçant, soit en les recevant au bureau. J’aime beaucoup associer un conférencier à des problématiques managériales et organiser des rencontres. Selon moi, la com interne n’a pas pour vocation de faire la logistique d’une commande passée par une direction de l’entreprise. Il faut que nous jouions un véritable rôle de conseil. En choisissant d’inviter Charles Pépin, par exemple, je sais que ce philosophe a travaillé sur l’incertitude, soit une question qui nous travaille tous. Il s’agit d’une animation de la ligne managériale, donc une proposition que je mets en avant avec l’équipe.

Nous communiquons à l’ensemble des collaborateurs, tout en ciblant certaines populations. Chaque semaine, une de nos newsletters ne s’adresse qu’aux managers de l’entreprise. Comme ces derniers ont peu de temps, la newsletter ne comporte que trois sujets essentiels qu’ils auraient pu manquer la semaine précédente.

Je mobilise mon expérience passée

Pour faire mon travail, je mobilise en grande partie mon expérience passée. Cela n’a rien de scientifique, mais je sais qu’il y a des temps pour communiquer. L’activité de l’entreprise est très liée à l’actualité et nous devons agir en fonction de ce rythme particulier. C’est pourquoi je me dois d’expliquer au mieux la position de la présidence.  En fait, nous sommes au front en permanence, mais nous pouvons également être beaucoup plus légers, sans coller à tout prix à l’activité du groupe, et organiser des concours à l’occasion de Noël ! Il n’y a rien de scientifique, selon moi.

Nous traitons l’information dans les deux sens. Il peut s’agir, pour mon équipe, de redescendre un ensemble d’informations que je peux obtenir via différents comités de direction auxquels je participe : tout ce qui est stratégie et activité de l’entreprise. Ensuite, mon équipe, que j’alimente en informations, va démultiplier celles-ci en fonction de leur spécialité sur des supports spécifiques. Côté information remontante, nous avons récemment réalisé notre propre audit. Nous avons demandé aux collaborateurs ce qu’ils pensaient de la com interne. Nous avons eu 11 % de participants sur près de 9 000 personnes. Cela nous a permis de dégager de grandes lignes et de faire notre auto-analyse.

La DRH produit elle aussi des enquêtes régulièrement. Par exemple, dans le cadre de la journée contre l’homophobie, elle peut interroger les collaborateurs quant aux discriminations en fonction de l’orientation sexuelle. Cela s’inscrit dans l’actualité de l’entreprise et dans sa programmation.

Mes autres activités, dans cette journée-type, ce sont essentiellement des rendez-vous avec l’extérieur et des réunions en visio. Même si je l’applique peu moi-même, je trouve que le télétravail est une très bonne chose. Il est très efficace pour mon équipe et je pense qu’il l’est pour l’ensemble de la société. Les collaborateurs apprécient beaucoup et je leur fais confiance…

Pendant la période du confinement Covid, je n’occupais pas ce poste, mais en tant que salariée, j’ai beaucoup apprécié ce que la com interne faisait pour nous, avec un contact et une information permanente, car tout le monde était inquiet face à cette inconnue.

Une journée de travail satisfaisante ? C’est lorsque je rentre chez moi à une heure décente. Cela signifie que la journée s’est bien passée. Toutefois, dès que je sors du bâtiment je ne suis plus dans le travail…  La journée qui se passe mal commence la veille par une commande à 20 h pour le lendemain matin qui va m’obliger à déranger les gens, ou un message qui n’est pas passé, soit parce que notre rédaction n’a pas été bonne, soit parce qu’il a fallu la validation de trop de personnes avant de l’envoyer. Bref, lorsque la communication n’a pas été efficace. Cela ne veut pas dire que j’aurais l’impression d’avoir raté ma vie…

Je suis en situation de prendre le pouls des collaborateurs

J’ai envie de dire que les relations avec ma hiérarchie sont bonnes. Cela se passe bien. Nous n’avons pas nécessairement les mêmes goûts ni la même vision des choses, il y a souvent débat, mais il est toujours constructif. Depuis que je suis à ce poste, je n’ai jamais ressenti le moindre manque de confiance. Ma boss étant très directe, elle dit les choses sans prendre de pincettes. Je fonctionne pareil.

Même si je ne suis pas au comex, j’ai un accès direct au dirigeant. Ce que je lui apporte, c’est que je suis en situation de prendre le pouls des collaborateurs. Je suis en communication permanente avec l’ensemble de ce petit monde. Je fréquente les collaborateurs par visio ou en réel, à la cantine, en déplacement. Quant à la visio, j’instaure des instances hebdomadaires. Nous avons une visio par semaine avec tout le réseau métropolitain de l’ensemble des communicants. C’est tous les deux mois pour l’outre-mer. Mon réseau de communicants me permet de faire remonter les informations. Et je rencontre des collaborateurs qui ne sont pas communicants, comme les directeurs d’unités. Je peux ainsi proposer à ma N+1 et aux dirigeants de l’entreprise de parler d’un sujet précis, parce que je sais que ce sujet est important.

Je n’ai pas de grille de lecture pour interpréter ce que j’apprends de l’écoute du terrain, mais les signaux sont évidents pour moi. Les gens qui collaborent à la société dans laquelle je travaille sont là depuis longtemps. Nous nous connaissons tous ou presque. Comme dans beaucoup de sociétés, les mêmes personnes, qui râlent envers l’entreprise, ne supportent pas qu’on la critique et la défendent dès qu’ils le peuvent. Par conséquent, les gens ne se gênent pas pour exprimer ni leur mécontentement ni leur satisfaction… ma mission est de faire remonter l’ensemble.

Je fais remonter et redescendre les informations, et je m’estime assez suivie

Je sais que l’on m’écoute quand on retient mes suggestions. Pas toutes, évidemment, mais les dirigeants retiennent les plus importantes. Par exemple, nous produisons régulièrement une émission sous la forme d’un journal télévisé, afin que la gouvernance puisse s’adresser à l’ensemble du personnel, à travers des interviews et des interactions avec les collaborateurs. En amont, je préviens les collaborateurs de la date du prochain rendez-vous, afin qu’ils puissent poser des questions sur différents thèmes, à l’avance ou en direct. Je fais ainsi remonter et redescendre les informations, et je m’estime assez suivie. C’est le rôle de la  com interne.

Quand je dois prioriser mes activités, je privilégie de continuer à m’alimenter avec ce qui se fait à l’extérieur et d’écouter le monde. Je privilégie la nouveauté au maximum, en allant sur le terrain. Une fois par semaine, j’assiste à une conférence pour voir si un intervenant ne pourrait pas intéresser nos collaborateurs. La dernière fois, je suis allée voir la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury qui a écrit « La fin du courage ».

Après des années de com externe, je suis très heureuse de faire de la com interne. La communication interne est un travail au long cours. Nous ne sommes pas dans l’hystérie d’un rendu immédiat. Nous avons le temps de nous poser pour mieux travailler les sujets. Si la variété des sujets est moins grande, ces derniers restent en lien avec le quotidien et notre environnement. Il s’agit d’une activité très humaine. J’avais quelques préjugés au départ, imaginant un public souvent mécontent, à l’affut du moindre mot de travers et, finalement, ce n’est pas du tout le cas. Ce métier est passionnant.

L’avenir ? Dans dix ans, je serai certainement à la retraite. Je me vois bien travailler encore cinq ou six ans en entreprise, puis m’occuper du tiers-lieu que je suis en train de monter dans mon quartier.

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