Innovation et création de valeur durable
En entreprise, la créativité et l’innovation doivent aller de pair, comme l’idée et l’action. Sans créativité, pas d’innovation, nous rappelle Lou Martinez-Sancho qui, au sein de Spie Batignolles, s’attache à mettre les idées en action. L’innovation qui crée de la valeur durable naît de la mise en œuvre de la créativité.
Quelle est votre définition de la créativité et quelle différence faites-vous avec l’innovation ?
Lou Martinez-Sancho : La créativité, c’est la capacité à trouver des idées nouvelles. C’est aussi l’ensemble des processus mentaux qui permettent la création. L’innovation, c’est la concrétisation de ces idées, leur mise en œuvre avec de la création de valeur. Alors que la créativité relève d’un processus mental, de l’imaginaire et de la réflexion, l’innovation relève de l’action. Le lien est étroit entre la créativité et l’innovation, car la première nourrit la seconde. Elle en est à l’origine. Permettant la production d’un maximum d’idées, elle est fondamentale pour l’émergence de l’innovation.
La créativité a-t-elle sa place en entreprise ? Quelle est sa valeur ajoutée ?
L.M.-S. : L’innovation est essentielle à la pérennité et surtout au développement de l’entreprise. C’est ce qui lui permet de s’adapter, de progresser et de créer de la valeur de façon durable. La créativité est incontournable, car sans elle il n’y a pas d’innovation. Elle libère l’entreprise, en ce sens qu’elle permet aux collaborateurs d’oser et leur donne la possibilité de proposer. Cela crée énormément de valeur en termes d’engagement, de qualité de vie au travail, ce qui se traduit financièrement. Quand on laisse la place à la créativité, on retrouve le Petit Prince qui continue à dessiner en nous et qui est la source d’une véritable création de valeur.
Quelle est votre perception du niveau de créativité actuel dans les entreprises françaises ?
L.M.-S. : Je viens de rentrer de trois ans en Californie, qui est à la pointe des pratiques dans le domaine de la créativité et de l’innovation. Ma vision est donc un peu biaisée. Néanmoins, il y a beaucoup de créativité en France, mais elle est moins show off qu’aux Etats-Unis. La vraie différence est d’ordre culturel : ailleurs qu’en France, les entreprises ont moins peur de l’échec et passent plus vite à l’action. En France, il y a un modèle culturel, lié au système éducatif, dans lequel l’échec est perçu comme quelque chose de totalement négatif, dont il est difficile de se relever. C’est un frein à la créativité et donc à l’innovation. Car on apprend de ses échecs et de ses erreurs. Comme le dit Sandra Rey, fondatrice et PDG de Glowee1 : « Il faut chercher à comprendre ce que l’autre fait tout en acceptant de ne pas tout comprendre ».
Vous êtes Directrice de l’innovation : quelle place donnez-vous à la créativité dans le cadre de vos missions ?
L.M.-S. : La créativité tient une place importante dans mon travail, mais je suis davantage orientée vers l’innovation qui correspond à mon besoin de mettre les idées en action. Ma mission consiste à définir et décliner une stratégie d’innovation chez Spie Batignolles. Cela passe par la créativité qui est le point de départ de la démarche. Il est en effet essentiel de produire un maximum d’idées, car quand on passe à la concrétisa- tion, il y en a finalement très peu qui sont appliquées. Faisons un parallèle avec la biotechnologie : pour une molécule commercialisée, il faut découvrir 6 000 à 8 000 molécules. J’utilise bien sûr des outils qui permettent de stimuler la créativité, entre autres la méthode EFICA2 et d’autres méthodes d’innovation comme le design thinking. Elles permettent de canaliser les idées et d’être plus efficace dans leur mise en place. Mais le plus important, c’est l’état d’esprit qui irrigue l’entreprise. C’est essentiel parce que cela permet d’avoir des collaborateurs qui osent parce que leur manager leur fait confiance. Comme le dit un dicton irlandais : « L’herbe ne pousse pas plus vite quand on tire dessus ». Donc, en tant que Directrice de l’innovation, je prépare le terrain, je fais en sorte que les managers osent faire confiance et que les collaborateurs osent être créatifs.
Selon vous, il existe donc un lien fort entre confiance et créativité…
L.M.-S. : Absolument. C’est la clé : il faut faire confiance aux professionnels pour leur permettre d’oser proposer leurs idées. Mais la créativité pour la créativité ne sert à rien et peut même mener à la frustration. Pour éviter cela, il faut faire confiance au salarié et lui donner les moyens d’action C’est la condition sine qua non de la concrétisation. Il faut démarrer par des petits objectifs et donner les moyens de leur mise en œuvre.
Vous travaillez dans un groupe qui réalise de nombreux projets de BTP. Quelle relation établissez-vous entre la créativité et le fait d’entreprendre ?
L.M.-S. : Le lien est très fort. Le BTP est en effet très créateur et donne du sens. L’acte d’innover est un acte de création. Dans notre métier, il n’y a donc qu’un pas à franchir. Une entreprise qui veut avoir une croissance durable doit en permanence innover, pour s’adapter aux nouveaux paradigmes, aux besoins de ses clients, à ses engagements sociétaux… Les êtres humains ont dû innover pou s’adapter aux évolutions de leur environnement et être encore là aujourd’hui. Ces innovations sont nées de la mise en œuvre de la créativité qui existe en chacun de nous. Elle est au cœur de l’histoire des entreprises et de l’humanité.
Qu’est-ce que le digital peut apporter à la créativité individuelle et collective ?
L.M.-S. : Le digital, c’est de la création de valeur via la donnée. Dans une entreprise qui développe une démarche de créativité, le digital permet d’aller plus loin, plus vite. Si on parle d’outils digitaux, ils permettent aussi plus de flexibilité et de puissance dans la démultiplication des idées.
Quelle est la place de la créativité dans le management ?
L.M.-S. : C’est extrêmement important. Parmi tous les critères ou caractéristiques d’un bon manager, la créativité est essentielle. Le manager est un fertilisant, sinon il devient un gestionnaire. Pour cela, il doit permettre la créativité pour libérer ses collaborateurs, ses projets, ses services.
Est-ce selon vous une compétence à la portée de tous ? Peut-elle s’acquérir et se développer ?
L.M.-S. : On confond souvent créativité et création artistique. C’est ce qui fait dire à certains : « je ne suis pas créatif ». Mais, la créativité est une compétence que nous avons en nous depuis l’enfance. C’est à ce moment-là qu’elle s’exprime le plus et le mieux. À l’âge adulte, nous restons tous créatifs, quel que soit notre métier, mais pas de la même façon ni sur les mêmes sujets. Il est possible de développer cette qualité, car la créativité, c’est comme le jogging. Il y a ceux qui ont des prédispo- sitions bien sûr. Mais seuls ceux qui s’entraînent peuvent courir le marathon…
La créativité, c’est comme le jogging. Il y a ceux qui ont des prédispositions bien sûr. Mais seuls ceux qui s’entraînent peuvent courir le marathon…
Lou Martinez-Sancho, Directrice de l’innovation du groupe Spie BatignollesUn souvenir d’un moment fort sur le plan créatif…
L.M.-S. : Deux moments forts me viennent à l’esprit : Le premier, dans l’automobile, lorsqu’on était dans la phase d’implémentation d’une nouvelle ligne de production. On a fait appel aux compagnons pour participer à la phase de conception des lignes de production avec les services d’ingénierie. C’est fabuleux ce qu’ils sont parvenus à faire ensemble. Le second souvenir, c’est dans le nucléaire : la mise en place du premier fab lab, un lieu dédié à la créati- vité. Ce qui était fort, c’était de voir les salariés s’approprier ce lieu, un tiers-lieu qui leur appartenait. Cela crée beaucoup de valeur dans l’entreprise, y compris sur le plan du business…
Quel conseil donnez-vous à un communicant qui souhaiterait intégrer la créativité dans son activité ?
L.M.-S. : Osez ! La communication est très liée à la créativité. En tant que communicant interne, on peut aller encore plus loin que dans les autres fonctions de l’entreprise. On a un rôle de modèle et de cross fertilisator. Il faut donc se libérer, sortir du travail routinier et ne pas se mettre de barrière.
1 Glowee est une start-up qui développe un système de lumière biologique utilisant les propriétés naturelles bioluminescentes d’organismes marins. www.glowee.fr
2 EFICA : Explore-Formilize-Idea-Control-Action, méthode développée en interne par les équipes AREVA qui fournit un cadre méthodologique pour des projets innovants.
Parcours
Lou Martinez-Sancho est passionnée de sciences et de philosophie. Diplômée de l’université Ramon Llull de Barcelone, elle a obtenu deux masters en sciences en 2002, respectivement à Paris V et Paris Vi. Elle a consacré une grande partie de sa carrière à l’intégration stratégique des technologies. Son deuxième axe de travail est la culture de l’innovation managériale et sociétale.
Multilingue et multiculturelle, elle a mené des transformations dans différents secteurs et pays (Etats-Unis, Espagne). Après un parcours industriel de plus de quinze ans, dans les secteurs de l’énergie, de l’automobile et des biotechnologies, elle est aujourd’hui directrice de l’innovation et membre du Comex du groupe Spie Batignolles.