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Regards croisés : Premières leçons de la crise

Vie des idées
1 octobre 2020

 

Comment l’épidémie a-t-elle émergé dans votre entreprise, et quelle organisation de communication a été adoptée ?

Florence Vautrin : Chez Faurecia, tout a évidemment commencé en Chine, où nous avons plus de 17 000 collaborateurs sur 60 sites. Puis, alors que la Chine commençait à déconfiner, l’épidémie a frappé progressivement l’Europe et le continent américain, poussant à la fermeture quasi totale de nos sites dans ces régions pendant huit semaines, voire plus. Une cellule de crise « groupe » a été créée mi-mars pour piloter la communication interne de l’ensemble du groupe, intégrant des représentants des ressources humaines, des équipes HSE et des systèmes d’information. Elle a fonctionné pendant deux mois et demi avec des réunions quotidiennes. Alors que la communication interne fonctionne en mode décentralisé en temps normal, le groupe a gardé la main pendant la crise.

Pascale Dumon-Poiret : Chez TechnipFMC, nous concevons et construisons de grosses infrastructures pour l’industrie de l’énergie dans le monde entier. De ce fait, la culture santé et sécurité est très forte dans l’entreprise. C’est pourquoi, lorsque la crise sanitaire a démarré en Chine et qu’une cellule de crise « groupe » a été constituée, elle a été placée sous la houlette de l’équipe HSE Corporate. L’équipe médicale et la communication y ont été étroitement associées, de même que le service voyages, car les déplacements sont une donnée critique pour notre activité, chaque projet industriel pouvant mobiliser pendant plusieurs années des milliers de personnes réparties dans différents pays. Dans toute l’entreprise, la fonction communication interne est intervenue à chaque étape pour diffuser et promouvoir les décisions de la cellule de crise et permettre les prises de parole des dirigeants. Les messages et initiatives à l’échelle du groupe étaient complétés par des actions locales pilotées par nos équipes dans chaque pays, avec une certaine marge de manœuvre, mais dans un cadre bien coordonné. Étant basée au siège du groupe à La Défense, j’ai pu suivre de près le plan de communication destiné aux collaborateurs en France piloté par l’équipe de ma collègue Laura Pereira-Neto.

Véronique Ménet : Le schéma a été assez similaire chez Safran. Fin janvier, une cellule d’alerte entre la direction groupe et Safran China (qui emploie 2 500 personnes) a été mise en place, puis transformée en février en cellule de crise « groupe » avec des cellules miroirs dans chacune des sociétés, pour le suivi de l’épidémie sous tous ses aspects : ressources humaines, industriel, supply chain, communication, santé, sûreté, RSE… Elle se réunit encore quotidiennement. Elle a bénéficié de l’aide de nos experts en Chine, qui ont partagé leur expérience de la première phase de la pandémie et continuent d’y participer. C’est elle qui décide des grandes lignes de la communication aux collaborateurs.

Ensuite, après le début du confinement, la communication s’est orientée vers un accompagnement très proche des salariés

Pascale Dumon-Poiret, vice-présidente internal communication, TechnipFMC

Quels dispositifs de communication interne ont été mis en place ? Quelles thématiques, quels outils ?

F.V. : À partir de mars, nous avons décidé de produire un contenu par jour, avec un rappel en fin de semaine. Nous n’avons plus d’intranet depuis trois ans, mais un réseau social interne, où nous animons la plus grande partie de la communication interne. Pendant le confinement, nous nous sommes focalisés sur les informations d’ordre sanitaire et les prises de parole hebdomadaires du comité exécutif du groupe, sous forme écrite ou vidéo. En fin de semaine, nous privilégiions les contenus de formation et les webinaires, parce que, dans cette période confuse, il fallait certes continuer à travailler, mais aussi aider les collaborateurs à prendre du recul, se former, s’accorder du temps. Cela a été très apprécié. Nous avons aussi créé une rubrique « From the front line », mettant en lumière les équipes les plus sollicitées : l’équipe achats en Chine, qui se battait pour nous trouver des masques et autres équipements de sécurité, les commerciaux en contact avec les clients, les usines ponctuellement ouvertes, les équipes informatiques… Nous avons relayé les actions solidaires menées localement par nos équipes : confection de masques pour les hôpitaux et les populations en France, Espagne, Pologne et États-Unis, production de visières en 3D par les ingénieurs, etc.

P.D-P. : Nous avons en permanence poursuivi le triple objectif d’informer les collaborateurs, de les fédérer et de maintenir leur engagement. Au départ, nous avons fourni une communication très opérationnelle, presque des instructions, la COVID-19 ayant un impact direct sur nos opérations. Au fur et à mesure que l’épidémie gagnait l’Europe et le reste du monde, nous avons repris les mêmes messages partout en les adaptant aux spécificités locales. Nous avons beaucoup utilisé le format d’e-mails à large diffusion. Ensuite, après le début du confinement, la communication s’est orientée vers un accompagnement très proche des salariés. Tous les quinze jours, une réunion à distance était organisée entre le P.-D. G. du groupe et les top managers, complétée par d’autres réunions dans les pays : en France, par exemple, des meetings hebdomadaires entre le D. G. et les managers, et tous les quinze jours pour l’ensemble du personnel. Assez vite, nous avons aussi créé une rubrique « Inspiring stories » sur l’intranet, pour raconter toutes les initiatives des collaborateurs à caractère social ou humanitaire. Nous avons également beaucoup utilisé le réseau social interne, avec notamment la création d’un groupe de discussion intitulé « Keep in touch ». Même chose pour la France, où a été ouvert le groupe « Connect and share » : les salariés confinés y partageaient des photos et vidéos de leur vie quotidienne, échangeaient des idées de lecture, organisaient des concerts ou un bingo humoristique (avec 2 000 participants !), etc. Toujours en France, nous avons proposé en ligne un cours de yoga, des conférences sur la gestion du temps et sur le sommeil, etc. Enfin, à l’échelle de toute l’entreprise et pour valoriser toutes les actualités en rapport avec la pandémie ou opérationnelles, nous diffusions une fois par semaine une vidéo reprenant des extraits de déclarations du P.-D. G., des photos et des conversations partagées sur le réseau social, des faits marquants de nos projets, des inspiring stories.

V.M. : Nous avons connu les mêmes phases successives. Dans un premier temps, il fallait informer et rassurer. La communication s’est focalisée sur la thématique de la COVID-19 à l’exclusion de toute autre, pour expliquer la situation et relayer en temps réel les informations sur cette pandémie, ses impacts au quotidien, les bons gestes à adopter, l’organisation du travail mise en place, comment faire face et stopper les risques de contamination, etc. À ce stade, l’aide de nos collègues chinois nous a permis de gagner un temps précieux, notamment sur les procédures de travail et de télétravail, les questions les plus fréquentes, l’affichage, etc. Nous avons créé une page Internet sur la situation mondiale Safran, avec l’aide des directeurs de la communication et des délégués de chaque pays où Safran est représenté. La collaboration entre notre équipe et eux a été plus systématique. Dans un deuxième temps, la communication s’est « humanisée », car nous avons pu partager les initiatives et bonnes pratiques locales, notamment grâce à des Webex hebdomadaires avec les directeurs de la communication. Ainsi, la situation était abordée de façon plus positive, avec des angles différents. Les sujets se sont encore enrichis lorsque nous avons intégré tout ce que faisaient les équipes de Safran pour aider l’entreprise et, au-delà, la société : production de masques, de visières et d’aspirateurs, collectes et dons pour les hôpitaux, etc. Nous pouvions montrer l’engagement du groupe et fédérer autour de cet engagement.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans cette période ?

P.D-P. : Sans aucun doute, la principale difficulté a résidé dans la grande quantité de sollicitations ! Les demandes provenaient de la cellule de crise, mais aussi de la direction du groupe, des différents métiers… Parallèlement, il fallait continuer à manager l’équipe, mais de façon différente, évidemment. La crise était totalement inédite et nous avons énormément travaillé pendant cette période, mais cela nous donnait une très forte motivation. L’équipe corporate faisait un point quotidien et, chaque semaine, nous organisions des meetings avec notre réseau pour la coordination mais aussi le partage des idées et expériences.

V.M. : C’est vrai, nous étions sur le pont tout le temps. Les messages à déployer évoluaient sans cesse et il fallait aussi jongler avec les disparités des réglementations et de l’avancement de la pandémie dans chaque pays. Dans ce contexte, nous avons vite constaté que le print fonctionnait moins bien que le digital et qu’il faudrait peut-être, à l’avenir, pour être plus réactifs, livrer des outils moins aboutis, notamment au plan graphique, puisqu’ils ont souvent été adaptés localement. L’autre difficulté a été d’accéder à tous les salariés, y compris les non-connectés. Pour y parvenir, nous

nous sommes beaucoup appuyés sur les managers, en utilisant des e-mails, des Webex régulières avec les directions des établissements pour transmettre les consignes, des FAQ rédigées pour aider à répondre aux questions de leurs équipes, des applications ou des extranets.

F.V. : Cette question des salariés non connectés a été notre principal souci. 50 % des collaborateurs du groupe travaillent en effet sur les lignes de production. Quand ils se sont retrouvés chez eux en chômage partiel, nous n’avions pas d’outil de communication simple et efficace pour les informer de façon cohérente, les rassurer et les aider à se projeter sur la reprise. Nous avons dû laisser les équipes locales trouver les moyens adéquats : courriers, SMS, groupes WhatsApp, plateformes digitales accessibles par mot de passe, etc. L’expérience de la COVID-19 a précipité notre réflexion sur la mise en place d’un nouvel outil de type appli.

Finalement, qu’allez-vous retenir de cette crise ?

F.V. : D’abord, j’ai constaté que la connaissance de l’entreprise, associée à un réseau puissant de communication, est un atout majeur en temps de crise. Cela permet d’activer les bons leviers, de mobiliser sans perte de temps. Je retiens aussi que nous pouvons faire beaucoup avec peu de moyens : dans une période comme celle-ci, nous avons trouvé des solutions collectivement, nous avons puisé dans nos compétences et nos ressources. J’ai appris à utiliser, sur le réseau social d’entreprise, des fonctionnalités dont je ne me servais jamais auparavant… Et nos interlocuteurs se sont montrés indulgents sur la forme tant que le contenu conservait sa qualité. En termes d’outils, la crise a boosté tous les formats digitaux. Les réunions en ligne ont pris une grande ampleur, puisque les dirigeants ne pouvaient plus voyager. Je pense que cette nouvelle habitude va perdurer, et que les déplacements seront définitivement réduits et optimisés. Enfin, la tonalité de notre communication interne a aussi évolué. Déjà, le réseau social avait favorisé un style plus léger, moins formel. Pendant la crise, nous avons forcé le trait pour créer davantage de proximité et nous avons enregistré de très bons taux de lecture. Nous n’avons pas pour autant perdu en légitimité. Au contraire, nous avons bénéficié de la reconnaissance de nos collègues pour le travail fourni.

V.M. : J’ai aussi constaté l’importance d’un réseau solide de communicants. Son organisation était déjà bien rodée, et nous avons augmenté la fréquence de nos réunions téléphoniques et partagé nos bonnes pratiques. Ces interactions décuplées entre nos sociétés et l’équipe corporate ont été très constructives. Deuxième leçon : la ligne managériale a été un levier de communication essentiel et très efficace. En période de crise et d’inquiétude, la communication corporate ne peut pas remplacer la voix du manager local qui explique, organise et rassure. Notre soutien s’est beaucoup concentré sur cette population, qui a pris conscience de la nécessité des outils et qui est ressortie très valorisée de la crise. Enfin, nous avons tous ressenti la force d’un groupe mondial, même s’il est composé de sociétés aux cultures différentes. Quand nous avons recensé et mis en avant les actions dans tous les pays, notre communication a trouvé un second souffle, et c’était agréable de se sentir participer à tout cet engagement. Certes, la pression était importante, mais nous en sortons grandis. La crise à peine terminée, nous lançons une enquête sur la communication corporate… et nous avons de beaux retours.

P.D-P. : Indubitablement, la crise a été pour la communication interne l’occasion de montrer sa valeur ajoutée, car toutes ses actions nous ont permis d’être très visibles et notre efficacité a été à la hauteur des enjeux. D’ailleurs, les enquêtes « Wellbeing » internes que nous avons lancées en juin ont enregistré un taux inédit de réponse à 55 %, dont 85 % de retours positifs sur la qualité et la quantité de la communication sur la période mars-mai. Nous avons réussi à nous adapter en nous appuyant sur l’existant, en optimisant les outils digitaux et en étant créatifs dans la façon de communiquer. Les fondations étaient solides : pour nous aussi, le réseau très fort s’est révélé un formidable atout, de même que les relations de confiance avec les dirigeants et la cohésion de l’équipe de communication, qui a permis, je crois, de contribuer à maintenir la cohésion de l’entreprise. Pendant ces trois mois, nous avons eu l’impression de vivre une période hors norme, qui faisait tomber les barrières hiérarchiques et rapprochait les personnes. C’est sans doute pourquoi le retour à la normale n’est pas si simple…

Article issu des Cahiers de la communication interne n° 46

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